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LOZ_2/LOZ236
Albert LOZEAU
Poésies complètes II
LE MIROIR DES JOURS
1907-1912
1912
LE MIROIR DES JOURS
(1907-1912)
III
L’ÂME ET L’ESPRIT
LA PASSION
Ainsi que l’ivrogne à son verre, 8
Comme à l’opium le fumeur, 8
De même que l’aigle à son aire, 8
Ainsi que l’abeille à la fleur, 8
5 Celui qui mit un jour sa lèvre, 8
Poésie, à ton vase d’or, 8
Dans la peine, l’amour, la fièvre, 8
Y reviendra jusqu’à la mort ! 8
Car la sublime maladie 8
10 Circule à jamais dans son sang ; 8
Et son cœur ardent s’incendie 8
D’un foyer toujours renaissant ! 8
Et sa soif est inextinguible ! 8
Et plus à la coupe du Beau 8
15 Il boit, – ô délice terrible ! 8
Plus il brûle d’un feu nouveau 8
La passion fatale et forte 8
En fait un esclave éternel 8
Qui traîne sa volonté morte 8
20 Le long des jardins bleus du ciel ! 8
Lucide ivresse de l’idée ! 8
Sa raison voyage là-haut 8
Comme par une âme guidée, 8
Qui prononce tout, sans un mot ! 8
25 Son corps pèse peu sur la terre ; 8
Il est seul et silencieux, 8
Mais ne se sent pas solitaire : 8
Quelqu’un l’accompagne des yeux… 8
Une voix lui souffle des phrases 8
30 Pleines de douceur et d’amour, 8
Si bien qu’il marche dans l’extase 8
Comme dans la clarté du jour. 8
Pour subir la grâce du charme, 8
Il n’a qu’à se faire humble et doux, 8
35 À ne pas rougir de ses larmes, 8
Parfois, à se mettre à genoux, 8
À présenter son front docile 8
À l’appel du rayonnement, 8
Ainsi qu’une petite fille 8
40 Aux caresses de sa maman. 8
Car la lumière, c’est la joie ; 8
Quand on est ivre de beauté, 8
C’est que Dieu lui-même l’envoie 8
À notre obscure humanité. 8
45 Muse, à ta coupe je veux boire ! 8
Penche-la tendrement vers moi ; 8
Ton philtre abolit la mémoire : 8
Je serais malheureux sans toi… 8
Ouvrant mes yeux sur l’autre monde, 8
50 Sur ma misère tu les clos, 8
Et mon âme qui vagabonde 8
N’entend pas ses propres sanglots ! 8
Tu m’éloignes tant de moi-même 8
Quand tu m’as versé ta liqueur : 8
55 Tu ne sais pas comme je t’aime, 8
Toi qui n’as pas trompé mon cœur !… 8
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