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LOZ_2/LOZ111
Albert LOZEAU
Poésies complètes II
LE MIROIR DES JOURS
1907-1912
1912
LE MIROIR DES JOURS
(1907-1912)
I
LA VILLE ET LES BOIS
AUX FLEURS
Fleurs des bois, fleurs des prés, fleurs aux formes parfaites, 12
Quelle peine sincère, en ce mois, vous nous faites ! 12
Vos coupes de parfums, vos vases de couleurs, 12
Vos calices de miel, vos corolles de pleurs, 12
5 Vos feuillages luisants, vos tiges élancées 12
Harmonieusement par la brise bercées, 12
Rien de votre beauté frêle n’a parfumé 12
Ni réjoui ce triste et frileux mois de mai ! 12
Sans doute, un peu de vous dans la grâce des femmes 12
10 A charmé nos regards et consolé nos âmes… 12
Vos grandes sœurs ont eu leur règne séduisant 12
Et c’est le tour des plus petites, à présent. 12
– Églantines, lilas, tulipes, violettes, 12
C’est le printemps ! Muguets, agitez vos clochettes ! 12
15 Dans les cerisiers blancs, dans les pommiers fleuris, 12
Le merle vous appelle avec de petits cris ; 12
Et les amants qui font l’amour à lèvres closes, 12
Ne peuvent rien se dire en l’absence des roses… 12
La terre, sous son herbe avare, vous attend, 12
20 Marguerite au cœur d’or, svelte lys éclatant, 12
Narcisse rose et blanc, pensée au velours sombre, 12
Et rêve de sommeil à votre petite ombre. 12
Chantez-nous la chanson délicate du bleu, 12
Et la gamme du rose exquis au rouge feu ; 12
25 Détaillez-nous la forme ascétique ou charnue, 12
Épanouie en boule, étoilée ou menue, 12
Et la variété soyeuse du satin, 12
Sa nuance innombrable au soleil du matin, 12
Ses éblouissements de pierres précieuses, 12
30 Ses ors, ses argents mats, ses pourpres somptueuses ! 12
Comme trempé de sang, qu’on aperçoive au loin 12
L’ardent coquelicot dressé dans le sainfoin, 12
Et que dans la forêt, dentelée et légère, 12
Verte au pied du tronc gris, foisonne la fougère ! 12
35 Point d’abeilles sans vous et point de papillons 12
Qui voltigent, de miel en miel, dans les rayons. 12
Vous êtes la lumière éclairant toute chose, 12
Ou bleue ou blanche ou mauve ou violette ou rose, 12
Et qui s’est incarnée en votre fine chair 12
40 Et, sous le ciel de pluie ou le firmament clair, 12
De vos calices fait de petites veilleuses 12
Frissonnantes au vent, douces et merveilleuses ! 12
Vous êtes les parfums enivrants des sentiers, 12
Qui s’exhalent sans s’épuiser, des jours entiers, 12
45 Et, moite, dans le bois profond au vaste dôme, 12
Fume et l’emplit, pareil à l’encens, votre arôme ! 12
La jeune fille rit en s’embaumant à vous, 12
Et pour vous respirer baise vos cœurs si doux. 12
Quand elle vous caresse à sa lèvre, on peut dire 12
50 Que la lèvre a l’odeur et la fleur le sourire ! 12
Vous embellissez tout ; l’eau devient diamant 12
Dès que sur vous la goutte étincelle un moment, 12
Et lorsqu’un papillon brun en vous s’aventure, 12
Vous composez un prodige de la nature ! 12
55 – Fleurs des champs, fleurs des bois, riches fleurs des jardins, 12
Splendide floraison : velours, tulles, satins ; 12
Humbles fleurs qui croissez au bord des grandes routes, 12
Fleurs indigentes qui bientôt vous fanez toutes ; 12
Fleurs à qui chaque jour le jet de l’arrosoir 12
60 Prodigue la fraîcheur qu’entretiendra le soir ; 12
Et vous, chétives fleurs tristes et négligées, 12
Qui n’êtes pas souvent d’eau limpide aspergées, 12
Qui comptez sur le ciel seulement, et que juin 12
Négligemment arrose en passant – et de loin, 12
65 C’est la saison ! Ne nous laissez pas dans la peine : 12
Sans couleurs, sans parfums, qu’est l’existence humaine ? 12
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