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LOZ_1/LOZ88
Albert LOZEAU
Poésies complètes I
L'ÂME SOLITAIRE
1902-1907
1907
IV
L’ÂME SOLITAIRE
Les livres ― L'Ame
I
LES LIVRES
LE VERS
Voici des vers sur une feuille, 8
Écrits au moment qu’ils sont nés, 8
Éclos libres et spontanés 8
Et presque sans que je le veuille. 8
5 Un vers est comme un papillon 8
Qui s’élance dans la lumière 8
Et dont l’origine première 8
Est lointaine comme un rayon. 8
Un vers se prend avec la plume, 8
10 Comme une rose avec les doigts ; 8
On l’attrape, on le perd parfois ; 8
C’est plus fragile que l’écume. 8
Un vers nous chante au fond du cœur 8
Une musique tout écrite 8
15 Qui, sur le papier blanc transcrite, 8
Soudain est muette de peur. 8
Un vers est une étoile vive 8
Qui, cueillie, aussitôt s’éteint, 8
Comme à la clarté du matin 8
20 Toute la floraison craintive. 8
Un vers est si mystérieux 8
Qu’on le sent avant sa naissance, 8
Car de sa future présence 8
L’esprit devient harmonieux. 8
25 C’est dans la profondeur de l’être, 8
Où l’impression retentit, 8
Que, tout à coup, germe et grandit 8
Le vers divin qui vient de naître ! 8
Il n’est pas un esclave vil 8
30 Que des chaînes d’argent retiennent ; 8
Mais chez les cœurs qui lui conviennent 8
Il consent à de doux exils. 8
Le vers apparaît à son heure, 8
Quand il lui plaît, pas autrement, 8
35 Comme la mort, à tout moment ; 8
Il passe, ou s’arrête et demeure. 8
Le vers commande. Il est un roi 8
Qui désire qu’on obéisse ; 8
Qu’on le vende ou qu’on le trahisse, 8
40 Il reste libre dans son droit. 8
Il est le Vers, qui se dispense 8
Ou se refuse à volonté ; 8
Aux seuls amants de sa beauté 8
Il confère sa récompense. 8
45 Et c’est la gloire ou le renom 8
Dans la pensée universelle, – 8
La grande lumière éternelle, 8
Au-dessus du monde, d’un nom ! 8
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