Métrique en Ligne
LOZ_1/LOZ63
Albert LOZEAU
Poésies complètes I
L'ÂME SOLITAIRE
1902-1907
1907
II
VEILLES DU JOUR ET DE LA NUIT
La chanson des heures ― La Chansons des mois
II
LA CHANSON DES MOIS
EFFETS DE NEIGE ET DE GIVRE
I
Les arbres ont l’aspect de blancs marbres qui poussent 12
Au bord des blancs trottoirs et des toits blancs qui moussent ; 12
Il neige ! Tout se vêt de divine blancheur. 12
Pour couvrir le sol noir du vieux monde pécheur, 12
5 On dirait que la nue au vent se désagrège 12
Et tombe par milliers de flocons purs. Il neige ! 12
Les champs, sur qui tout un long jour il a neigé, 12
Semblent lointainement des lacs de lait figé. 12
Dans les chemins ouatés où l’air froid souffle, il tinte 12
10 Une argentine voix de grelot, vite éteinte. 12
Et les petits enfants s’exclament, réjouis 12
Par le poudroiement clair du ciel de mon pays. 12
II
Un grain de neige fond en larme sur ma vitre. 12
Je referme mon livre au milieu d’un chapitre, 12
15 Pour regarder tomber la neige du ciel blanc, 12
Et la suivre en son vol tourbillonnant et lent. 12
Elle est molle, elle est vive, elle est fantasque et folle ; 12
Elle plane, elle flotte, elle vogue, elle vole ; 12
Elle est frivole et grave ; elle a, comme un rimeur 12
20 Sensible, de soudains revirements d’humeur, 12
Selon qu’un petit vent nonchalant se révèle 12
Ou qu’un souffle nouveau soudain la renouvelle ! 12
Mais tout cela finit, pour elle comme lui, 12
Par de longs pleurs coulés et par de l’eau qui fuit… 12
III
25 Ma vitre, ce matin, est tout en feuilles blanches, 12
En fleurs de givre, en fruits de frimas fins, en branches 12
D’argent, sur qui des frissons blancs se sont glacés. 12
Des arbres de vermeil l’un à l’autre enlacés, 12
Immobiles, ont l’air d’attendre qu’un vent passe 12
30 Tranquille, mol et blanc. Calme petit espace 12
Où tout a le repos profond de l’eau qui dort, 12
Parce que tout cela gît insensible et mort. 12
Vision qui fondra dès la première flamme, 12
Comme le rêve pur des jeunes ans de l’âme ; 12
35 Espoirs, illusions qu’on regrette tout bas : 12
Sur la vitre du cœur, frêles fleurs de frimas… 12
IV
Par ces longs soirs d’hiver où, fatigués des livres, 12
Les yeux suivent l’effet sur la vitre des givres 12
Dessinant d’un pinceau lent et mystérieux, 12
40 Sous l’inspiration des grands vents furieux, 12
Des jardins, des forêts blanches et toujours calmes, 12
De fantastiques fleurs et de bizarres palmes, – 12
Ces soirs-là, comparant l’ombre qui rôde en lui 12
À la blanche splendeur des choses de la nuit, 12
45 Le poète isolé du monde, dans sa chambre, 12
Rêve à la grande paix des tombes de décembre 12
Et du linceul d’hermine amoncelé sans bruit 12
Qui, sous le ciel empli de clair de lune, luit… 12
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