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LOY_2/LOY53
Charles LOYSON
ÉPÎTRES ET ÉLÉGIES
1819
ÉLÉGIES
ÉLÉGIE XII
LE TOMBEAU DE L'ÉTRANGER (*)
IMMOLÉ loin des tiens par la lance guerrière, 12
Dors sous la tombe hospitalière, 8
Dors, O jeune étranger, du sommeil des héros ! 12
Et puisses-tu trouver légère 8
5 Cette humble sépulture, où la main d'une mère 12
Sous des gazons épais a recueilli tes os ! 12
Dors, tu ne verras plus les rives de la Sprée, 12
Où ton drapeau sans toi s'en retourna vainqueur. 12
Mais dis-moi, malheureux, si dans cette contrée 12
10 Tu laissas, en partant, une mère, une sœur, 12
Et, quoique jeune encore, une épouse adorée, 12
Que ton absence accable de douleur ! 10
Une épouse ! ah ! regrets ! qui fidèle à t'attendre, 12
Va par la ville chaque jour, 8
15 A tes compagnons de retour, 8
Redemander l'époux qu'ils ne pourront lui rendre ! 12
Guerriers, oh ! par pitié ménagez son amour ! 12
Si vous savez la terrible nouvelle, 10
Gardez qu'un récit trop fidèle 8
20 Ne lui ravisse son erreur. 8
Laissez faire le tems. Le tems, pour son malheur, 12
Ne lui dira que trop la vérité cruelle. 12
Dors, jeune infortuné, goûte ici le repos. 12
Et puisses-tu trouver légère 8
25 Cette humble sépulture, où la main d'une mère 12
Sous des gazons épais a recueilli tes os ! 12
De rêves séduisans tu te berçais, sans doute ; 12
A travers de brillans hasards, 8
La gloire et la fortune, à tes jeunes regards, 12
30 De leur temple éclatant ouvraient déjà la route. 12
Déjà tu triomphais dans ces nobles remparts, 12
Ou d'une main mal affermie, 8
La victoire à regret plantait vos étendards, 12
Et triste, s'étonnait d'entrer en ennemie. 12
35 Quel immortel honneur, lorsque dans tes foyers, 12
De tes nombreux exploits rappelant la mémoire, 12
Tu pourras te montrer le front ceint de lauriers 12
Cueillis aux climats même où les produit la gloire ! 12
Écoute, entends-tu les clairons, 8
40 Qui sonnent l'heure des alarmes ? 8
Vois-tu bondir ces escadrons ? 8
Aux armes ! soldat, prends tes armes : 8
Hate-toi, crains qu'un autre en ces murs orgueilleux 12
Ne conduise avant toi son coursier belliqueux. 12
45 Infortuné ! la Parque meurtrière 10
A sur tes jours ouvert ses noirs ciseaux, 10
Et te voilà couché dans la poussière. 10
Dors, ô jeune étranger, du sommeil des héros ! 12
Qu'entends-je, et quelle voix impie 8
50 Me fait un crime de mes pleurs ? 8
Quel inhumain, dans ses lâches fureurs, 10
Veut que j'outrage une cendre ennemie ? 10
Barbare, ah ! plus que toi j'adore la patrie. 12
Oui, contre nous, un jour, du fond de leurs climats, 12
55 Soulevant de nouveau les nations lointaines, 12
Que le flot de la guerre inonde encor nos plaines, 12
Et qu'on nous juge alors au milieu des combats. 12
La charge sonne ; suis mes pas, 8
Viens me voir au milieu des ennemis en armes, 12
60 Viens me voir acheter le pardon de ces larmes 12
Que je verse sur leur trépas. 8
Oui, jeune infortuné, dans les combats, sans crime, 12
J'aurais porté le coup qui ta percé le sein ; 12
Jeune infortuné, cette main 8
65 N'eût point à mon pays refusé sa victime. 12
La terre te couvre aujourd'hui 8
Dans cette demeure dernière, 8
L'ennemi disparaît, et je n'ai plus pour lui 12
Que la pitié, les pleurs et la prière. 10
70 Hélas ! nous sommes tous enfans de la poussière, 12
Nous sommes tous, hélas ! citoyens des tombeaux. 12
Dors sous la tombe hospitalière, 8
Dors, malheureux, dors en repos. 8
Quel climat n'a pas vu nos guerriers intrépides ? 12
75 Le grenadier français, aux pieds des Pyramides, 12
Dressa ses pavillons. 6
La Moscoua tremblante a sous nos bataillons 12
Courbé ses flots rapides. 6
Ou payant la victoire, ou marquant nos revers, 12
80 Notre sang a partout coulé dans l'univers. 12
Tous nos frères ont-ils reçu la sépulture ? 12
Ne fut-il point entre eux quelques infortunés, 12
Dont les restes abandonnés, 8
Aux oiseaux dévorans ont servi de pature ? 12
85 Triste fruit des combats ! ah ! sans doute, ah ! du moins, 12
Quelquefois des Français les cendres malheureuses 12
Ont aussi rencontré des ames généreuses, 12
Et reçu les funèbres soins. 8
Gloire aux amans de la patrie, 8
90 Qui sur des bords lointains lui prodiguent leur vie 12
Pour la défendre ou la venger. 8
Gloire, honneur à l'ami de l'humanité sainte, 12
Qui sous de verts gazons fermés d'une humble enceinte, 12
Donne une tombe à l'étranger. 8
95 Frappé par la lance guerrière, 8
Dors, jeune infortuné, goûte ici le repos : 12
Dors sous la tombe hospitalière. 8
Non, non, ce n'est pas moi qui troublerai tes os. 12
Quel calme autour de toi règne en ces lieux tranquilles ! 12
100 Que les zéphyrs légers, sur ces feuilles mobiles, 12
Soupirent doucement ! 6
Que ce beau fleuve au loin dans les plaines fertiles 12
S'épanche mollement ! 6
Oui, la nature entière, en cette solitude, 12
105 De tes bienfaiteurs généreux, 8
Partage la sollicitude, 8
Et de soins consolans rivalise avec eux. 12
Mais l'astre de la nuit, sur les hauteurs voisines 12
Élève à demi son flambeau, 8
110 Et ses douces clartés, sous ces noires épines, 12
Viennent avec mystère éclairer ton tombeau. 12
Peut-être en ce moment ton père et sa compagne, 12
Si déjà la douleur n'a causé leur trépas, 12
A ses pâles rayons traversant la campagne, 12
115 L’un sur l'autre appuyés, reviennent pas à pas 12
Vers leur cabane où tu n'es pas. 8
Ah ! du moins puissent-ils apprendre 8
Que ton ombre a reçu les funèbres honneurs, 12
Qu'une mère a soin de ta cendre, 8
120 Et qu’un Français a chanté tes malheurs. 10
Immolé loin des tiens par la lance guerrière, 12
Dors sous la tombe hospitalière, 8
Dors, ô jeune étranger, du sommeil des héros ! 12
Et puisses-tu trouver légère 8
125 Cette humble sépulture, où la main d'une mère 12
Sous des gazons épais a recueilli tes os. 12
Une tombe élevée par madame *** à un jeune Prussien qui fut tué dans son parc
pendant le dernier siége de Paris, a fourni à l'auteur le sujet de cette élégie.
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