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Charles LOYSON
ÉPÎTRES ET ÉLÉGIES
1819
ÉLÉGIES
ÉLÉGIE VI
L'AIR NATAL
Te voilà, doux pays, témoin de ma naissance, 12
Voilà tes champs, tes prés, tes ombrages épais, 12
Et ton fleuve si pur, et tes vallons si frais : 12
Mais, hélas ! qu'as-tu fait des jeux de mon enfance ? 12
5 M'as-tu gardé, dis-moi, mes plaisirs, ma gaîté, 12
Un cœur exempt de soins, ma joie et ma santé ? 12
Beaux lieux où je suis né, me rendrez-vous la vie ? 12
Est-il vrai qu'en effet ce ciel de la patrie, 12
Qui dans leur fleur naissante a vu nos jeunes ans, 12
10 Cet air, ces eaux, ces fruits, nos premiers alimens, 12
Cette nature enfin, étrange sympathie ! 12
Par des liens cachés à la nôtre assortie, 12
Lorsque d'un mal cruel nous sentons la langueur, 12
Puissent ressusciter notre antique vigueur, 12
15 Réveiller ces esprits qui se meuvent à peine, 12
Faire d'un sang plus pur bouillonner chaque veine, 12
Et de la vie en nous ranimant les ressorts, 12
Rendre à l'esprit sa flamme et ses forces au corps ? 12
Essayez d'exiler du sol qui les vît naître 12
20 Ou cette tendre fleur, ou ce jeune arbrisseau ; 12
Ils languissent soudain, et vont mourir, peut-être, 12
Si vous ne les rendez au lieu de leur berceau. 12
Ce soleil inconnu, cette nouvelle terre, 12
Hélas ! daigneront-ils, à la tige étrangère, 12
25 Accorder leur tendresse, accommoder leurs soins ? 12
Connaissent-ils ses goûts, ses mœurs et ses besoins ; 12
La chaleur qu'il lui faut, les sucs qu'elle préfère ? 12
Ce ruisseau coule-t-il à sa soif mesuré ? 12
Cet air fut-il exprès pour elle tempéré ? 12
30 Ces champs sont-ils les champs où la douce nature 12
A d'un soin maternel placé sa nourriture ? 12
Non, pour elle en ces lieux rien ne fut préparé. 12
Eh bien ! cette magique et secrète influence 12
Sans doute aussi sur l'homme exerce sa puissance. 12
35 Oui, l'homme à vivre aux lieux où jadis il est né, 12
Comme l'arbre et la fleur est aussi destiné. 12
Si vous voyez loin d'eux sa santé qui chancelle, 12
Hâtez-vous, rendez-lui la terre paternelle, 12
Cet astre dont l'éclat sur son enfance a lui, 12
40 Ces champs accoutumés, ce climat fait pour lui, 12
Sur-tout ces souvenirs remplis de tant de charmes, 12
Ces heureux souvenirs de ses premiers beaux jours, 12
De ses premiers succès, de ses premiers amours, 12
De ses jeux innocens, et même de ses larmes ; 12
45 Rendez-lui l'heureux toit qu'il habita long-tems, 12
Ses anciens compagnons, ses amis, ses parens, 12
Les doux soins d'une sœur, les doux soins d'une mère, 12
Et les cheveux blanchis ou la tombe d'un père. 12
Parmi tous ces objets, dans son cœur ranimé, 12
50 De ses jours presque éteints le feu s'est rallumé ; 12
De la sage nature heureuse Providence ! 12
Vous donc, vous, insensés,qui trompant sa prudence, 12
De climats en climats portez vos pas errans, 12
A l'amour du pays mortels indifférens, 12
55 De la nature, enfin, redoutez la vengeance. 12
Un jour peut-être, un jour, sans secours, sans pitié, 12
Sur un lit douloureux et chèrement payé, 12
Expirant à prix d'or chez un hôte insensible, 12
Vous mourrez délaissés. Le lieu simple et paisible 12
60 Où l'amour maternel sourit à vos berceaux, 12
Ne verra point vos fils pleurer sur vos tombeaux, 12
Et vos os, inhumés aux terres étrangères, 12
Dormiront inconnus loin des os de vos pères. 12
Dieu ! sur des bords lointains ne placez point ma mort ! 12
65 Et vous, ô de mes jours puissance tutélaire, 12
Si de mon lieu natal la mémoire m'est chère ; 12
Si je ne l'ai jamais, exilé par le sort, 12
Ni quitté sans douleur, ni revu sans transport, 12
Lorsque les fiers destins auront marqué mon heure, 12
70 (Et peut-être avant peu je dois sentir leurs coups ; 12
Je ne vous prierai point de fléchir leur courroux ; 12
Mais né dans ces beaux lieux, que dans ces lieux je meure ; 12
Dans ce temple sacré qui touche ma demeure, 12
Que de l'airain plaintif les tristes tintemens 12
75 Annoncent de mon cour les derniers battemens. 12
A ces sons entendus dans tout le voisinage, 12
Plus d'une bonne vieille, oubliant son ouvrage, 12
Et laissant un moment reposer son fuseau, 12
Viendra sur mon linceul pencher le saint flambeau. 12
80 Mais lorsque sur la porte on aura mis ma bière, 12
Chaque passant près d'elle un moment arrêté, 12
Secouant un rameau dans l'eau sainte humecté, 12
Prononcera tout bas une courte prière ; 12
Même les étrangers, en voyant un long deuil 12
85 Jusqu'au dernier asile escorter mon cercueil, 12
Pleureront ma jeunesse en sa fleur moissonnée : 12
Une mère plaindra ma mère infortunée, 12
Et quelques vers peut-être iront dans l'avenir, 12
Gravés sur mon tombeau, porter mon souvenir. 12
90 Mais pourquoi m'attrister par ces pensers funèbres ? 12
L'espérance en mon sein peut encor se placer, 12
Un doux rayon encor peut chasser les ténèbres 12
Où mes jours pâlissans sont près de s'éclipser. 12
Dieu ! que mon sort un jour serait digne d'envie, 12
95 Si dans l'heureux déclin d'une honorable vie 12
Je venais, à l'abri de ces vieux marronniers, 12
Reposer un front blanc, ceint de quelques lauriers ! 12
Fortune ! entends ces veux, et d'une main prodigue 12
Porte ailleurs, j'y consens, les trésors, les emplois, 12
100 Et ces larges cordons et ces brillantes croix 12
Que mérite l'honneur et que ravit l'intrigue. 12
Mais quel que soit le sort qui m'attend en ces lieux, 12
Pour vivre et pour mourir également propices, 12
Mes désirs sont contens, et je rends grâce aux cieux. 12
105 Beaux lieux, hâtez-vous donc : de toutes vos délices, 12
Hâtez-vous de combler et mon cœur et mes yeux. 12
Soit qu'au mal qui m'accable à la fin je succombe, 12
Soit que le ciel me garde encor de longs momens, 12
Ou j'obtiendrai par vous la fin de mes tourmens, 12
110 Ou vous m'embellirez le chemin de la tombe. 12
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