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LOY_2/LOY44
Charles LOYSON
ÉPÎTRES ET ÉLÉGIES
1819
ÉLÉGIES
ÉLÉGIE III
LE LIT DE MORT
Cessez de me flatter d'une espérance vaine ; 12
Cessez, ô mes amis, de me cacher vos pleurs. 12
La sentence est portée, oui, ma mort est certaine, 12
Et je ne vivrai plus bientôt que dans VOS cœurs. 12
5 Pour la dernière fois, j'ai vu briller l'aurore ; 12
Pour la dernière fois ce beau soleil m'a lui : 12
Votre ami, succombant au mal qui le dévore, 12
Sur le déclin du jour va s'éteindre avec lui. 12
Mais demain, quand paré d'une splendeur nouvelle 12
10 Le soleil triomphant rentrera dans les cieux, 12
Votre ami dormira dans la nuit éternelle, 12
Et l'éclat du matin n'ouvrira plus ses yeux. 12
Déjà tout s'obscurcit, tout s'efface à ma vue, 12
Tout m'échappe, entraîné par d'invisibles mains ; 12
15 Et seule s'offre à moi cette route inconnue 12
Dont le terme se cache aux regards des humains. 12
Eh bien ! ces noirs sentiers, ces régions obscures, 12
Cette nuit du trépas, n'étonnent point mon cœur. 12
Vers le Dieu qui m'attend je lève des mains pures : 12
20 Ennemi du méchant, il est mon protecteur. 12
Couvrez mon lit de fleurs, couronnez-en ma tête ; 12
Placez, placez ma lyre en mes tremblantes mains. 12
Je saluerai la mort par une hymne de fête : 12
Vous, de mes derniers chants répétez les refrains. 12
25 Mais quel trouble s'élève en mon ame affaiblie ? 12
Pourquoi tombent soudain ces transports généreux ? 12
Mes regards, malgré moi, se tournent vers la vie, 12
Et ma lyre ne rend que des sons douloureux. 12
Malheureux que je suis ! je n'ai rien fait encore 12
30 Qui puisse du trépas sauver mon souvenir ! 12
J'emporte dans la tombe un nom que l'on ignore, 12
Et tout entier la mort m'enlève à l'avenir ! 12
Malfilâtre ! Gilbert ! trop heureuses victimes, 12
Vous mourûtes frappés dans la fleur de vos ans ; 12
35 Mais, ravie au tombeau par quelques vers sublimes, 12
Votre gloire survit et triomphe du tems ! 12
Hélas ! plus jeune encore et bien plus déplorable, 12
Sans pouvoir m'illustrer par de nobles efforts, 12
Sans laisser après moi nulle marque durable, 12
40 Je vais me réunir à la foule des morts. 12
Ah ! si du moins ces sons d'une bouche expirante, 12
Ces accens d'une voix qui s'éteint pour jamais, 12
Si ces chants échappés à la parque impuissante, 12
De l'avenir un jour excitaient les regrets ! 12
45 Si, grâce à ces débris sauvés de mon naufrage, 12
De la mort qui m'atteint mon nom victorieux 12
Sur l'abîme des tems surnageoit d'âge en âge, 12
Et bravait de l'oubli l'effort injurieux !….. 12
O mes amis, à tout j'ai préféré la gloire. 12
50 La gloire ! cet espoir fit mes jours les plus beaux. 12
Qu'importe que notre ombre ait franchi l'onde noire, 12
Quand l'immortalité consacre nos tombeaux ? 12
Trop vaine illusion de mon ame charmée ! 12
Pour les siècles futurs je n'aurai pas été ! 12
55 Ma mémoire en vos cours doit périr enfermée ! 12
C'est là mon univers et ma postérité. 12
Eh bien ! écoutez donc mes paroles dernières ; 12
Approchez : sur ce lit, témoin de mes tourmens, 12
Jurez à votre ami d'accomplir ses prières ! 12
60 Mais, non, je vous connais ; retenez vos sermens. 12
Au moment où la mort va frapper ma jeunesse, 12
Par ce coup imprévu, des parens adorés 12
Perdront l'unique appui qu'attendait leur vieillesse ; 12
Je vous lègue le soin de ces gages sacrés. 12
65 Qu'ils vont pleurer ce fils, que la parque inhumaine 12
Sur des bords étrangers aura frappé loin d'eux ! 12
Combien ils maudiront cette terre lointaine, 12
Qui me prive en mourant de leurs derniers adieux ! 12
Qu'ai-je fait en quittant leur modeste chaumière ? 12
70 J'ai dérobé ma cendre à leurs justes douleurs. 12
Je suis venu chercher une tombe étrangère 12
Qu'ils ne pourront, hélas ! arroser de leurs pleurs. 12
Ah ! je m'en séparai dans une autre espérance. 12
Je voulais quelque jour, près de leurs cheveux blancs, 12
75 Leur rendant tous les soins qu'en reçut mon enfance, 12
D'amour et de bonheur entourer leurs vieux ans. 12
Pourquoi vous retracer à ma triste mémoire, 12
Doux rêves dont mon cœur en vain fut occupé ? 12
Et mes rêves d'amour, et mes rêves de gloire, 12
80 Tout fuit : toi seule, ô mort, ne m'auras pas trompé ! 12
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