Métrique en Ligne
LOY_2/LOY42
Charles LOYSON
ÉPÎTRES ET ÉLÉGIES
1819
ÉLÉGIES
ÉLÉGIE I
LE BANNISSEMENT
Dans cette libre solitude 8
Où je trouvais mon univers, 8
Je ne vivais que pour l'étude, 8
Les arts et l'amour des beaux vers. 8
5 Jeune, j'étais sans défiance. 8
Oh ! quelle triste expérience ! 8
Il est donc des mortels pervers ? 8
Tandis qu'en pleine confiance, 8
Sur la foi de sa conscience, 8
10 L'innocence sommeille en paix, 8
La ténébreuse calomnie 8
Veille en secret avec l'envie, 8
Et trame ses affreux projets. 8
Le moment vient, elle s'anime, 8
15 Le fer dans l'ombre est suspendu ; 8
Sa faible et tranquille victime 8
Reçoit le coup inattendu, 8
Tombe, et s'éveille dans l'abîme. 8
O mon père ! O mon bienfaiteur ! 8
20 Par quelle trahison infâme 8
A pu me noircir dans ton ame 8
Un obscur et lâche imposteur. 8
Quand de ta maison paternelle 8
Tu me bannis avec rigueur, 8
25 De cette sentence cruelle 8
Je puis supporter la douleur ; 8
Mais tu m'as bannis de ton cœur ; 8
Voilà ma blessure mortelle, 8
Et mon courage, qui chancelle, 8
30 Est sans force pour ce malheur. 8
Adieu donc, je vais, dans ce monde, 8
Où tu me jettes malgré moi, 8
Porter mon invincible effroi 8
Et mon ignorance profonde. 8
35 Hélas ! à mes pas incertains, 8
Lorsque mon protecteur m'exile, 8
Qui voudra donner un asile ? 8
Mais je me livre à mes destins. 8
Je le sens trop, mon ame neuve, 8
40 De l'injustice des humains 8
Doit faire encor plus d'une épreuve. 8
Oh ! puissent leurs tristes leçons 8
Être pour moi long-tems perdues ! 8
Puissent leurs noires trahisons 8
45 M'arriver toujours imprévues ! 8
Adieu, peut-être quelque jour, 8
Instruit d'un indigne artifice, 8
Tu connaîtras ton injustice 8
Et tu pleureras à ton tour. 8
50 Que dis-je ! O puissance céleste, 8
Épaissis le voile funeste 8
Dont ses yeux, hélas ! sont chargés. 8
Qu'il vive toujours sans alarmes : 8
Mes malheurs seraient trop vengés 8
55 S'ils devaient lui coûter des larmes. 8
Adieu, beaux arbres, bois touffus, 8
Où j'ai passé de douces heures ; 8
Adieu, vous ne me verrez plus 8
Errer dans ces belles demeures. 8
60 Ah ! que toujours, sous ces berceaux, 8
Celui que j'ai nommé mon père, 8
Respire en paix de vos rameaux 8
L'ombre et la fraîcheur solitaire, 8
Et qu'aucune pensée amère 8
65 N'y vienne troubler son repos ! 8
Mais lorsque sous vos vertes cimes 8
Les cruels auteurs de mes maux 8
Viendront méditer quelques crimes, 8
Ourdir quelques malheurs nouveaux, 8
70 Que la sève qui vous arrose 8
Se transforme en poisons affreux, 8
Et que la fleur à peine éclose 8
Expire et tombe devant eux. 8
logo du CRISCO logo de l'université