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LOY_2/LOY39
Charles LOYSON
ÉPÎTRES ET ÉLÉGIES
1819
ÉPITRES
ÉPITRE V
AUX FEMMES
Sexe aimable, sexe trompeur, 8
Fait pour nous trahir et nous plaire, 8
Salut, amour, joyeuse humeur, 8
Gais passe-tems et doux mystère. 8
5 Mais après ce préliminaire, 8
Permets que d'un ton peu flatteur 8
Je t'offre un avis salutaire. 8
Ne crains pas toutefois que, sourcilleux docteur, 12
Je prêche dans Paphos une réforme austère : 12
10 Le rôle de prédicateur 8
A Paphos, je le sais, ne réussirait guère. 12
Qu'un moraliste atrabilaire 8
Disserte, en quatre points, sur tes défauts charmans, 12
Et prouve, tout au long, par de bons argumens, 12
15 Qu'une femme a grand tort d’être vaine et légère, 12
Et que c'est un péché de tromper les amans ; 12
Il a raison, peut-être, et sur tes goûts frivoles 12
Je pourrais partager au fond ses sentimens ; 12
Mais je n'aimai jamais à perdre mes paroles. 12
20 De ton humeur suis donc le cours, 8
Garde ta vanité, garde tes artifices, 12
Fais-nous subir toujours la loi de tes caprices, 12
Sois infidèle, hélas ! et nous trahis toujours ; 12
Car à t'en empêcher quel fou pourrait prétendre ? 12
25 Et puis souffre un aveu moins galant qu'ingénu : 12
En fait de trahison tu ne peux nous surprendre, 12
Et lorsque notre cœur ne t'a pas prévenu, 12
Il est en fonds pour te le rendre. 8
Mais j'entends tout-à-coup gronder d'autres censeurs, 12
30 Qui ne peuvent te voir sans peine, 8
A la cour de Vénus préférant les neuf sœurs, 12
Quitter Paphos pour Hippocrène. 8
Belles, c'est à l’Amour qu'il faut sacrifier : 12
Contre nos faibles cœurs armez votre sourire, 12
35 Et laissant se rider l'insensible Dacier 12
Dans les honneurs virils du littéraire empire, 12
Pour la rose et le myrthe oubliez le laurier. 12
Cet avis est prudent et de bon goût, sans doute, 12
Mais d'autre chose encore entre nous il s'agit, 12
40 Et si ne pas écrire est un point qui vous coûte, 12
Aspirez, j'y consens, au rang de bel esprit. 12
Sévigné, la Fayette, et Staël, et plus d'une autre, 12
Que par discrétion je ne veux point nommer, 12
Dans d'aimables écrits toujours sûrs de charmer, 12
45 Sans renier leur sexe ont égalé le nôtre. 12
Je veux même, après tout, que parmi les docteurs 12
Vous alliez d'une ardeur un tant soit peu gothique, 12
Secouer des latins la poussière classique ; 12
Vous n'y perdrez du moins que le tems et nos cœurs. 12
50 Mais pour venir enfin au point de ma censure 12
Pouvez-vous des partis aigrir les passions, 12
Et fomenter les maux que la patrie endure, 12
En soufflant parmi nous le feu des factions ? 12
Wighs, thoris, sont-ce là des noms faits pour les belles ? 12
55 Régir la république, est-ce donc un emploi 12
Qui leur convienne, et doivent-elles 8
Juger entre Bussi, les Guises et le roi ? 12
Votre rôle est plus doux, soyez-en satisfaites : 12
Régnez dans les boudoirs, gouvernez les toilettes, 12
60 Et laissez dans les mains du prince et du sénat, 12
Laissez flotter sans vous les rênes de l'État. 12
Tandis qu'à gouverner' votre zèle s'empresse ; 12
Qu'à régler le budget, la milice et la presse, 12
Vous perdez des soins superflus, 8
65 L'empire des salons est en proie aux abus. 12
Qu'êtes-vous devenus, tems heureux de nos mères, 12
Où les soupers charmans, voués aux doux propos, 12
N'usurpaient pas le soin des publiques affaires, 12
Au timon de l'État laissaient les ministères, 12
70 Les princes sur le trône, et l'Europe en repos ? 12
Le potage, en entrant, accordait tout le monde ; 12
On riait, on chantait, on disait des bons mots ; 12
Le vin et la gaîté circulaient à la ronde ; 12
On parlait des beaux arts, on se moquait des sots, 12
75 On louait Mahomet, Zelmire était sifflée, 12
Et, lorsqu'enfin minuit séparait l'assemblée, 12
Jusques au lendemain à regret se quittant, 12
Chacun prenait sa canne et s'en allait content. 12
Hélas ! la froide politique 8
80 Envahit aujourd'hui nos banquets attristés : 12
La haine au cœur de fiel, la dispute caustique, 12
Chasse de son aspect la gaîté pacifique, 12
Et l'esprit de parti préside à ses côtés : 12
Monstre affreux, d'humeur sombre et noire, 8
85 Qui, fronçant un sourcil épais, 8
Semble crier qui vive ! avant d'offrir un mets, 12
Retient soudain le bras qui vous versait à boire, 12
Et sur un front ultrà réprime le souris 12
Qu'un bon mot libéral avait presque surpris. 12
90 Charmante urbanité, douce galanterie, 12
Adieu ; vous avez fait nos plaisirs autrefois ! 12
Adieu, chanson badine ; adieu, vive saillie, 12
Nous ne dînerons plus qu'en discutant des lois. 12
Voyez ce harangueur, fanatique intraitable, 12
95 Qui met d'un air distrait, en pressant son voisin, 12
Chambertin sur mâcon, muscat sur chambertin, 12
Et, le café servi, se lève enfin de table, 12
Sans savoir seulement qu'on a changé de vin. 12
O tems ! ô mœurs ! ô honte ! ô profane délire ! 12
100 Ils ont de nos salons exilé la gaîté ; 12
On n'ose plus chanter, on n'ose plus sourire, 12
On n'ose presque plus médire, 8
Si ce n'est d'un ministre ou bien d'un député. 12
De cette triste décadence, 8
105 Mesdames, c'est à vous d'arrêter le progrès : 12
La table et les salons sont sous votre puissance, 12
A la table, au salon, nous sommes vos sujets. 12
Combien de champs ouverts aux querelles civiles ! 12
Le barreau, le sénat, le conseil, les congrès, 12
110 Les clubs rouges et blancs, les journaux, les pamphlets ! 12
Hélas ! sauvez du moins, sauvez quelques asiles 12
Où nous puissions parfois nous reposer un peu ; 12
Contre les argumens, les cris, les invectives, 12
Réservez-nous le coin du feu ; 8
115 Et faites que le soir, débonnaires convives, 12
Un dîner cordial soit notre paix de Dieu(1). 12
Chassez donc, envoyez régner à la tribune 12
Cette politique importune 8
Qui proscrit la gaîté, les plaisirs et les jeux, 12
120 Et rappelez enfin dans vos cercles joyeux, 12
Rappelez les Amours, les Grâces fugitives, 12
Les Ris, la danse, les concerts, 8
Les contes, les chansons naïves, 8
Les bons, et, s'il le faut, même les méchans vers. 12
125 Chaque chose a sa place ; au combat indomptables, 12
Gravement au sénat traitant les grands objets, 12
Le verre en main, soyons aimables, 8
Et que l'Europe en nous retrouve le Français. 12
(1)  On sait que du tems des guerres continuelles auxquelles donnait lieu le régime féodal,
il y avait de certains jours pendant lesquels il n'était pas permis de se battre.
Ces trèves d'obligation étaient appelées paix de Dieu.
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