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LOY_2/LOY38
Charles LOYSON
ÉPÎTRES ET ÉLÉGIES
1819
ÉPITRES
ÉPITRE IV
A M. VIGUIER,
MAITRE DE CONFÉRENCES A L’ÉCOLE NORMALE
Défais-toi, cher ami, d'un souci qui t'abuse ; 12
Ne crains point que jamais, infidèle à ma muse, 12
J'abandonne les bois de ce vallon chéri 12
Ou je fus dans ses bras et de son lait nourri. 12
5 La Parque, en commençant ma première journée, 12
A sur un seul fuseau roulé ma destinée. 12
Je ne sais, fruit du tems, du génie et de l'art, 12
Si la gloire en mon sort doit avoir quelque part ; 12
Mais, dans leur char sanglant, Bellone et la Victoire 12
10 Ne me porteront point au temple de mémoire ; 12
On ne me verra point, lumière du sénat, 12
Des Tullius du jour faire pâlir l'éclat, 12
Ni parmi les dangers d'une mer inconstante 12
Diriger de l'État la fortune flottante ; 12
15 J'irai seul dans les champs, sous des ombrages verts, 12
Goûter la solitude et le charme des vers, 12
Et quand sera ma cendre au tombeau renfermée, 12
Si quelque soin pour moi touche la Renommée, 12
Si de mes jours éteints le vivant souvenir 12
20 Jette un pâle rayon jusque dans l'avenir, 12
Lieux que j'aurai chéris, beaux vallons, frais bocages, 12
Mon nom se mêlera dans vos douces images ; 12
Que puisse-t-il aussi rappeler des vertus ! 12
Que de mes sentimens héritiers ingénus, 12
25 Puissent mes vers encore au fond de quelques ames 12
Allumer après moi de généreuses flammes ! 12
Ce sont là les destins qui bornent mes désirs. 12
N'attends pas, toutefois, que d'aimables loisirs 12
Remplissant à mon gré ma retraite chérie, 12
30 Je demeure insensible au sort de la patrie. 12
Non, j'ai le cœur français, et quand des factions 12
Je vois renaître encor les tristes passions, 12
Quand je vois la Discorde au milieu de nos villes 12
Aller semant la haine et les fureurs civiles, 12
35 Et déjà, déployant ses cruels étendards, 12
Aux partis désarmés rapporter ses poignards ; 12
Alors mon sang se trouble et mon zèle s'allume, 12
Et mon courroux tout prêt à remplir un volume, 12
N'attend point que les mots, à pas sûrs et réglés, 12
40 Marchent en nombre exact sous la rime assemblés. 12
Mais loin des doctes sœurs dont la voix douce et tendre 12
En ce siècle de fer ne se fait plus entendre, 12
Je cours à la mêlée, et j'ose, au nom des lois, 12
Parler des rois aux peuplesau peuple et des peuples aux rois. 12
45 Vois, son d’Hosier en main, ce ligueur fanatique, 12
Qui, le cerveau rempli de sa chimère antique, 12
A Coblentz endormi, veut, à peine éveillé, 12
Que tout à son exemple ait trente ans sommeillé ; 12
Vois ce Solon de club, ce Brutus de taverne, 12
50 Tour-à-tour courtisan, factieux subalterne, 12
Et qui, pour ex voto, vient à la liberté 12
Offrir les longs affronts de sa servilité ; 12
Vois ces jeune spahis et ces vieux janissaires, 12
Sur l'urne de nos lois posant leurs cimeterres, 12
55 Et pour le moindre mot se mettant en courroux 12
S'ils n'ont la liberté…. de nous asservir tous. 12
Prétends-tu, cher ami, qu'une ame citoyenne, 12
Tranquille à cet aspect, s'arrête et se contienne ? 12
Même, si d'aventure, un auteur renommé 12
60 Prétend qu'en le citant je l'aurai diffamé ; 12
Veux-tu que je ne puisse, en prose épistolaire, 12
Lui dire : « En vérité, je ne suis point faussaire, 12
Monsieur ; j'ai cité juste, et, vous le savez bien, 12
Votre éloge excepté, je n'ai menti sur rien ? » 12
65 Diras-tu que jadis les affaires publiques 12
Offrirent plus d'un trait aux muses satiriques ? 12
Juvénal, flétrissant d'indignes sénateurs, 12
Exhalait en beaux vers ses chagrines humeurs ; 12
Je le sais ; mais tout change, et de nos jours, pour cause, 12
70 L'ultra Saraumatas se serait dit en prose, 12
Sinon tu pourrais bien voir au Palais-Royal 12
Un pamphlet rouge ou blanc éclipser Juvénal. 12
Souffre donc quelquefois que brisant la mesure, 12
Je mette de côté la rime et la césure, 12
75 Et déroge un moment à mes goûts favoris, 12
Puisqu'enfin les lecteurs chez nous sont à ce prix. 12
Quand l'ennemi paraît, le berger court aux armes, 12
Et bientôt de ses champs revient goûter les charmes ; 12
C'est aussi mon histoire, et, le combat rendu, 12
80 Je ressaisis mon luth un moment suspendu. 12
Ainsi chasse bien loin ta vaine inquiétude, 12
Et n'appréhende plus que mon ingratitude, 12
En fuyant les neufs sœurs, n'attire leur courroux ; 12
Plus les tems sont fâcheux, plus leur commerce est doux, 12
85 Et plus je veux, cherchant leurs entretiens sublimes, 12
Oublier nos travers, nos malheurs et nos crimes. 12
Et ne le sais-tu pas, toi qui connais mon cœur, 12
Qu'en chantant leurs bienfaits, je chantais mon bonheur ? 12
Oui, les muses, ami, nous l'apprîmes d'Homère, 12
90 Sont des filles du Ciel qui consolent la terre ; 12
Les muses ont daigné, seules de tous les dieux, 12
Abandonnant pour nous l'Olympe radieux, 12
Préférer notre monde aux demeures célestes. 12
L'indiscret Prométhée, avec ses dons funestes, 12
95 Avait chez les mortels versé mille fléaux ; 12
Le cœur de Jupiter fut touché de leurs maux, 12
Soudain, pour adoucir ces disgraces nouvelles, 12
Sa bonté désigna les doctes immortelles : 12
« Mes filles, leur dit-il, voyez à quels destins 12
100 » Un pouvoir malfaisant à livré les humains : 12
» Le travail, les douleurs, l'ennui, l'impatience, 12
» Et, pour comble de maux, peut-être l'espérance, 12
» Qui toujours les charmant et les trompant toujours, 12
» Dans un flux éternel agite, hélas ! leurs jours. 12
105 » Qui, dans ces régions au malheur condamnées, 12
» Pourra faire briller de plus douces journées ? 12
» Muses, ce sera vous ; allez, des passions 12
» Dissipez le prestige et les illusions ; 12
» Fermez aux insensés des routes infidèles, 12
110 » Pour offrir à leurs vœux des carrières plus belles ; 12
» De vos nobles ardeurs enflammez leurs esprits, 12
» Et que de goûts plus purs en vous voyant épris, 12
» Ils perdent la mémoire et des douleurs humaines, 12
» Et de leurs faux plaisirs, plus tristes que leurs peines ; 12
115 » Mais, ô muses ! fuyez loin des cours corrompus, 12
» Votre chaste faveur n'appartient qu'aux vertus. » 12
Il dit, et parmi nous les muses descendirent ; 12
Aussitôt à leur voix tous nos maux s'adoucirent, 12
La naissante harmonie embellit les déserts, 12
120 Et le son de la lyre enchanta l'univers. 12
O mes divinités, mes chères protectrices, 12
Puis-je perdre le goût de vos nobles délices ? 12
Quel cœur plus que le mien éprouva vos bienfaits ? 12
Muses, recevez donc le serment que je fais : 12
125 Régnez sur mes vieux ans, comme sur mon aurore ; 12
Je suis né dans vos bras, j'y veux mourir encore, 12
Cependant ramenez ces jours si triomphans 12
Où la faveur publique enivrait vos enfans ? 12
Le talent n'était point un titre de disgrace ; 12
130 La gloire et la fortune habitaient au Parnasse. 12
Un astre moins propice a commencé son cours, 12
Mais vous en inspirez de plus pures amours. 12
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