Métrique en Ligne
LOY_1/LOY6
Charles LOYSON
LE BONHEUR DE L'ÉTUDE :
discours en vers et autres poésies
1817
ODES
ODE IV
LA CONJURATION DE 1812
DE ses vastes pensers l'homme se glorifie ; 12
L'homme croit dans l'orgueil où son cœur se confie ; 12
Que tout roule ici bas au gré de ses desseins : : 12
Mais du sort des mortels Dieu seul conduit les rênes ; 12
5 Et ses mains souveraines 6
Sans nous du haut des cieux gouvernent nos destins. 12
Les mondes et les tems, à son ordre fidèles, 12
Poursuivent, sous ses yeux, leurs routes éternelles 12
Qu'il peut régler lui seul, que lui seul peut changer ; 12
10 Et des événemens le torrent invincible, 12
Dans sa course inflexible, 6
Entraîne l'orgueilleux qui croit le diriger. 12
Voyez ce favori de l'aveugle Fortune, 12
De son obscurité fayant l'ombre importune, 12
15 Séduire l'univers trompé par ses exploits ; 12
Soldat le front chargé d'un triple diadème, 12
Qui sur leurs trônes même, 6
D'un seul de ses regards fait chanceler les Rois. 12
C'est trop long-temps souffrir d'indignes esclavages, 12
20 Monarques, accourez des plus lointains rivages, 12
Unis pour terrasser son insolent orgueil. 12
Que dis-je ? vainement votre fureur l'assiége, 12
Le ciel qui le protége, 6
Plus loin, de ses grandeurs a préparé l'écueil. 12
25 Tel le cèdre,au milieu des forêts qu'il domine, 12
Pousse jusqu'aux enfers sa profonde racine, 12
Tandis que de sa tête il va toucher les cieux. 12
Mille vents conjurés en vain lui font la guerre, 12
C'est d'un coup de tonnerre 6
30 Que doit être brisé son front audacieux, 12
Dieu des Rois, ton bras seul pouvait sauver le Monde ! 12
A ta seule puissance, en prodiges féconde, 12
Nous devons de sa chûte attribuer l'honneur : 12
Oui, toi seul es l'auteur de notre délivrance, 12
35 Toi seul rends à la France 6
Ses lois, sa liberté, ses Rois et son bonheur. 12
Eh ! qu'était-il besoin que l'Europe en furie, 12
Des bords du Tanaïs aux champs de l'Ibérie, 12
Contre un seul homme armât cent peuples conjurés ? 12
40 S'il eût du succomber sous des forces humaines, 12
De ses honteuses chaînes, 6
Français, des Français seuls nous auraient délivrés. 12
O champs de la Russie ! O plaines désastreuses, 12
Où cent mille héros, victimes malheureuses 12
45 Qu'à l'envi moissonnaient la faim et les hivers, 12
Accusant de leur chef l'homicide imprudence, 12
Erraient sans espérance ; 6
Et,vainqueurs fugitifs, mouraient dans les déserts. 12
Tandis qu'un furieux, expiant ses ravages, 12
50 Couvrait de nos débris vos régions sauvages, 12
La vengeance apprêtait son juste châtiment, 12
Et du trône où s'assit sa fortune insolente, 12
Son'oreille tremblante 6
Allait entendre au loin l'affreux écroulement. 12
55 Hélas ! nous n'avions pas expié tous nos crimes : 12
Tombez, nobles vengeurs, tombez, mortels sublimes ! 12
Sous les murs de Leipsick nous sommes attendus. 12
Mais, sans briser le joug de la France asservie, 12
Si vous perdez la vie, 6
60 Vos trépas généreux ne seront point perdus. 12
Sous le fer des tyrans quand la vertu succombe, 12
Son sang ne périt point consumé. par la tombe, 12
Il n'est point en fumée exhalé dans les airs : 12
L'Éternel le reçoit dans l'urne de vengeance, 12
65 Et médite en silence 6
Le coup qui doit l’absoudre aux yeux de l'univers. 12
C'en est fait, réveillant sa colère assoupie ; 12
Votre mort a comblé les forfaits de l'impie, 12
Et le courroux du ciel trop long-temps outragé. 12
70 Je cherche i'orgueilleux qui défiait la foudre, 12
Je vois son trône en poudre ; 6
L'humanité respire, et le monde est vengé ! 12
Hélas ! :son châtiment répare-t-il nos pertes ? 12
Entendez-vous, la nuit, dans ces plaines désertes, 12
75 S'élever ces soupirs et ces gémissemens ? 12
Des héros morts pour nous reconnaissez les mânes, 12
Qui, dans des lieux profanes, 6
Surpris d’être oubliés, ? errent sans monumens. 12
Pour les rendre au bonheur que le ciel nous renvoie, 12
80 Si l'inflexible mort ne peut lâcher sa proie, 12
Ah ! du moins consolons leurs restes généreux. 12
Eh ! quel mortel impie, échappé du naufrage, 12
Sans tombeau sur la plage, 6
Laisse de ses amis les débris malheureux ? 12
85 L'avenir dirait donc : Pour venger leur patrie, 12
Des Français d'un tyran bravèrent la furie : 12
Le trépas fut le prix d'un dévoûment si beau. 12
Où sont les monumens de ces nobles victimes ? 12
Leurs ombres magnanimes 6
90 Méritaient des autels, et n'ont pas un tombeau ! 12
Non, nous ne voulons point qu'une telle souillure 12
Lille flétrir nos noms dans la race future ; 12
Vous serez honorés, mânes de nos vengeurs ! 12
Sous un marbre commun vos dépouilles sacrées, 12
95 A jamais révérées, 6
Iront de siècle en siècle attester nos douleurs. 12
Et si…(1) Mais loin de nous ces présages funestes ! 12
Si jamais, de ses feux ressuscitant les restes, 12
La Discorde attaquait et le trône et les lois ; 12
100 Armes pour foudroyer ses ligues criminelles, 12
De vos cendres fidèles 6
Nous viendrions apprendre à mourir pour nos Rois. 12
Ainsi vous recevrez nos éternels hommages ; 12
Ainsi vos noms chéris vivront dans tous les âges, 12
105 Des pleurs de la patrie à jamais honorés. 12
Trop heureux qui n'a point d'autres pleurs à répandre, 12
Ni de douleur plus tendre 6
A porter sur la tombe où vous reposerez ! 12
O triste et cher objet de deuil et de tendresse, 12
110 Infortuné Boutreux ! (2) tes vertus, la jeunesse 12
De tes assassins même ont ému la pitié !… 12
Mais je dois consacrer d'autres chants à ta gloire ; 12
Au temple de mémoire, 6
Puissé-je unir nos noms unis par l'amitié, 12
(1) L'auteur qui a écrit ces vers avant le 20 mars 1815, ne s'attendait guère que cette espèce de prédiction serait sitôt et si malheureusement accomplie.
(1) Jeune homme de la plus haute espérance, qui périt dans la conspiration de Mallet. Ceux qui l'ont connu, savent à quoi s'en tenir sur le but de cette entreprise. Boutreux était né à Angers, et avait passé son enfance dans les forêts de la Vendée. Ce n'est pas là qu'il se forme des conspirateurs pour la république,
logo du CRISCO logo de l'université