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Charles LOYSON
LE BONHEUR DE L'ÉTUDE :
discours en vers et autres poésies
1817
IMITATIONS ET TRADUCTIONS
ÉLÉGIE D'OVIDE
SUR LA MORT DE TIBULLE
ELEGIA OVIDII
DE MORTE TIBULLI. (1)
Memnona si mater, mater ploravit Achille m,
Et tangunt magnas tristia fata Deas :
Flebilis indignos, Elegeia, solve capillos.
Ah ! nimis ex vero nunc tibi nomen erit :
Ille, tui vates operis, tua fama, Tibullus,
Ardet in extructo corpus inane rogo.
(1) Amorum, Lib. III, Eleg. IX.
Si des Déesses immortelles, 8
Si jadis l'Aurore et Thétis 8
Ont de leurs larmes maternelles 8
Mouillé les cendres de leurs fils : 8
5 Viens, les cheveux épars, ô plaintive Élégie, 12
Viens, et laisse à ton tour éclater tes douleurs ; 12
Ton nom ne sied que trop à tes propres malheurs. 12
Ta gloire la plus douce aujourd'hui t'est ravie. 12
Oui, ton poète bien-aimé, 8
10 Que toi-même à tes chants avais pris soin d'instruire, 12
Tibulle, hélas ! n'est plus qu'un reste inanimé 12
Que le bûcher fatal achève de détruire. 12
Ecce puer Veneris fert eversamque pharetram
Et fractos arcus, et sine luce facem.
Aspice, demissis ut eat miserabilis alis,
Pectoraque infesta tundat aperta manu.
Excipiunt lacrymas sparsi per colla capilli,
Oraque singultu concutiente sonant.
Fratris in AEneæ sic illum funere dicunt
Egressum tectis, pulcher Iule, tuis.
Nec minus est confusa Venus moriente Tibullo,
Quam juveni rupit cum ferus inguen aper.
At sacri vates, et Divum cura vocamur ;
Sunt etiam qui nos numen habere putent ?
Scilicet omne sacrum mors importuna profanat ;
Onnibus obscuras injicit illa manus.
Déjà pâle et les yeux baissés 8
L'amour portant, entre ses mains tremblantes, 10
15 Son flambeau sans lumière et ses traits renversés, 12
Le sein meurtri, l'air morne, et les ailes pendantes, 12
S'avance tristement, de larmes abondantes 12
Mouillant ses beaux cheveux sur son cou dispersés, 12
Et remplissant les airs de ses plaintes touchantes. 12
20 Tel autrefois d'Énée escortant le cercueil, 12
Jeune Iule, il sortit de ton palais en deuil. 12
Vénus même, à la mort de ce poète aimable, 12
Vénus même n'a pas éprouvé moins d'ennuis, 12
Que lorsqu'un monstre impitoyable 8
25 Déchira dans les bois son charmant Adonis. 12
Et du ciel, nous dit-on, augustes interprètes, 12
Nous sommes chers aux dieux qui veillent sur nos jours ! 12
Les dieux, si du vulgaire on en croit les discours, 12
Ont d'un souffle immortel animé les poètes ! 12
30 O mort ! rien n'est sacré pour tes profanes mains, 12
A tes aveugles coups rien ne peut se soustraire. 12
Quid pater Ismario ? quid mater profuit Orpheo
Carmine quid victas obstupuisse feras ?
Et Linon in sylvis idem pater edidit altis,
Dicitur invicta concinuisse lyra.
Aspice Mæoniden, a quo, ceu fonte perenni,
Vatum Pieriis ora rigantur aquis.
Hunc quoque summa dies nigro summersit Averpo ;.
Effugiunt avidos carmina sola rogos.
Durat opus vatum Trojani fama laboris,
Tardaque nocturno tela retexta dolo.
Sic Nemesis longum, sic Delia nomen habebit,
Altera cura recens, altera primus amor.
D'Orphée et de Linus on connaît les destins. 12
Ils ont eu vainement le Dieu des vers pour père ; 12
Vainement ils ont su par les accords divins 12
35 De leur immortelle harmonie 8
Des monstres les plus inhumains 8
Dompter dans les forêts la sauvage furie ? 12
Voyez dans le sacré vallon 8
Homère des trésors de sa veine féconde 12
40 Épancher ces beaux vers, source immense et profonde, 12
Où viennent s'abreuver tous les fils d'Apollon. 12
Homère, comme un autre, a vu le noir rivage ; 12
Ses vers seuls de la Parque ont évité l'outrage. 12
Vivez, fruits du génie ! admirables travaux ! 12
45 Vivez de siècle en siècle, Achille, Hector, Ulysse, 12
Et toi, noble beauté, dont le chaste artifice 12
De ton époux absent sut tromper les rivaux. 12
Délie et Némesis, ainsi, dans tous les âges, 12
L'avenir redira vos noms chers à l'amour, 12
50 O vous qui de Tibulle avez eu tour-à-tour 12
Quid nunc sacra juvant ? quid nunc Ægyptia prosuut
Sistra ? quid in vacuo secubuisse toro ?
Cum rapiant mala fata bonos, ignoscite fasso,
Sollicitor nullos esse putare Deos.
Vive pius, moriere pius : cole sacra, colentem
Mors tamen à sacris in sua busta trahet.
Carminibus confide bonis ; jacet ecce Tibullus :
Vix manet e toto parva quod urna capit.
Te ne, sacer vates, flammæ rapuere rogales ?
Pectoribus pasci nec timuere tuis ?
Aurca sanctorum potuissent templa Deoruna
Urere, quæ tantum sustinuere nefas.
Et les premiers soupirs et les derniers hommages. 12
Malheureuses, dans ce moment 8
Que vous servent, hélas ! tant de pieux mystères, 12
Et vos sistres d'Égypte, et ces nuits solitaires 12
55 Qui n'ont point sauvé votre amant ? 8
Il n'est plus ! Pardonnez des doutes sacriléges, 12
Grands Dieux ! si les vertus d'un cour religieux, 12
Contre l'affreux trépas sont de vains priviléges, 12
Puis-je croire au pouvoir qui gouverne les cieux, 12
60 Vertueux ou méchant à la mort tout succombe. 12
Servez les Dieux, la Mort, à la face des Dieux, 12
Du pied de leurs autels vous entraîne à la tombe : 12
Comptez sur les beaux vers, Tibulle est sous vos yeux. 12
Et cette urne contient tout ce qui nous en reste. 12
65 Eh, quoi ! la flamme impie, ô poète enchanteur, 12
A dévoré ton corps sur le bûcher funeste ! 12
La flamme sans respect a consumé ce cœur, 12
De toutes les vertus séjour pur et céleste ! 12
Feux profanes, feux criminels, 8
70 Que n'allez-vous des Dieux embraser les autels ! 12
Avertit vultus, Erycis quæ possidet arces.
Sunt quoque qui lacrymas continuisse negent.
Sed tamen hoc melius, quam si Phæacia tellus
Ignotum vili supposuisset humo.
Hic certe manibus fugientes pressit ocellos
Mater, et in cineres ultima dona tulit.
Hic soror in partem misera cum matre doloris
Venit, inornatas dilaniata comas.
Cumque tuis sua junxerunt Nemesisque, priorque
Oscula, nec solos destituere rogos.
Delia discedens, felicius, inquit, amata
Sum tibi ; vixisti, dum tuus ignis eram.
Cui Nemesis, quid ait, tibi suntmea damna dolori ?
Me tenuit moriens deficiente manu.
Vénus à cet aspect détourna son visage, 12
Des pleurs même, dit-on, coulèrent de ses yeux. 12
Cher Tibulle, du moins un barbare rivage 12
N’ensevelira pas les restes précieux. 12
75 Du moins, cher Tibulle, une mère 8
A fermé de ses mains ta mourante paupière ; 12
Une sœur, une mère, unissant leurs douleurs, 12
Ont couvert ton tombeau de présens et de fleurs. 12
Du moins les deux beautés dont tu chéris les charmes, 12
80 Près du triste bûcher où tu fus consumé, 12
Ont serré dans leurs bras ton corps inanimé. 12
Cher amant, dit Délie, en répandant des larmes, 12
Le ciel d'un œil propice avait vu nos amours ; 12
Tant que je te fus chère, il épargna tes jours. 12
85 Cessez, lui répond sa rivale, 8
Cessez d'accuser le destin : : 8
Vous pleurez une perte à moi seule fatale, 12
C'est moi qu'en expirant pressait sa faible main. 12
Si tamen e nobis aliquid nisi nomen, et umbra
Restat ; in Elysia valle Tibullus erit.
Obvius huic venias hedera juvenilia cinctus
Tempora, cum Calvo, docte Catulle, tuo.
Tu quoque, si falsum est temerati crimen amici,
Sanguinis atque animae prodige Galle tuæ.
Hiscomesumbra tua est ; si qua est modo corporis umbra.
Auxisti numeros, culte Tibulle, pios.
Ossa quieta precor tuta requiescere in urna,
Et sit humus cineri non onerosa tuo.
Si l'homme cependant se survit à lui-même, 12
90 S'il doit rester de nous, après l'instant suprême, 12
Autre chose qu’une ombre et qu’un vain souvenir, 12
L'Élisée a reçu les mânes de Tibulle. 12
Au-devant de ses pas son ombre a vu venir, 12
Et le joyeux Calvus, et le docte Catulle, 12
95 Et toi, poète aimable, autant que malheureux, 12
Qui de tes propres mains as terminé ta vie ! 12
O Gallus ! s'il est vrai qu'aucune perfidie 12
Ne souilla ton cœur généreux. 8
Parmi ces ombres fortunées, 8
100 Cher Tibulle, heureux à jamais, 8
Tes immortelles destinées 8
s'écouleront au sein d'une éternelle paix. 12
Repose, cependant ; repose, et que la terre 12
Dans ton dernier asile à tes os soit légère. 12
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