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LOY_1/LOY30
Charles LOYSON
LE BONHEUR DE L'ÉTUDE :
discours en vers et autres poésies
1817
IMITATIONS ET TRADUCTIONS
IMITATION DE TIBULLE
ÉLÉGIE
ALBII TIBULLI,
ELEGIA (1)
Divitias alius fulvo sibi congerat auro,
Et teneat culti jugera multa soli,
Quem labor assiduus vicino terreat hoste,
Marția cui somnos classica pulsa fugent :
Me mea paupertas vitæ traducat inerti,
Dum meus exiguo luceat igne focus ;
Nec spes destituat, sed frugum semper acervos
Præbeat, et pleno pinguia musta lacu
Ipse seram teneras maturo tempore vites
Rusticus, et facili grandia poma manu.
(1) Eleg. I, lib. 1.
QU’UN autre cherche l'or sur un lointain rivage ; 12
Qu'un autre, possesseur d’innombrables sillons, 12
D'un farouche ennemi craigne le voisinage, 12
Et s'éveille en tremblant au bruit des fiers clairons. 12
5 Pour moi,que loin des camps, paisible et nonchalante, 12
Ma pauvreté me rende à ma vie indolente, 12
Pourvu qu'un feu modeste échauffe mon foyer ; 12
Qu'avec moi l'espérance habitant mon domaine 12
Me montre au bout de l'an ma grange toujours pleine ; 12
10 Et d'un vin généreux garnisse mon cellier. 12
A ce prix, sans rougir, et sans craindre la peine, 12
Tour-à-tour laboureur, vigneron, jardinier, 12
Je veux tailler un cep ou planter un pommier ; 12
Nec tamen interdum pudeat tenuisse bidentem,
Aut stimulo tardos increpuisse boves.
Non agnamve sinu pigeat fetumve capella
Desertum, oblita matre, referre domum.
Hic ego pastoremque meum lustrare quotannis,
Et placidam soleo spargere lacte Palem.
Nam veneror, seu stipes habet desertus in agris,
Seu yetus in trivio florea serta lapis :
Et quodcumque mihi pomum noyus educat annus
Libatum agricolæ ponitur ante deo.
Flava Ceres, tibi sit nostro de rure coroną
Spicea, quæ templi pendeat ante fores.
Pomosisque ruber custos ponatur in hortis,
Terreat ut sæva falce Priapus aves.
Vos quoque felicis quondam, nunc pauperis agri
Custodes, fertis munera vestra, Lares.
Prendre en main l'aiguillon et la bèche grossière, 12
15 Et le soir, dans mes bras, rapporter au troupeau, 12
Ou la brebis naissante, ou le jeune chevreau, 12
Seul au milieu des champs oublié par sa mère. 12
Chez moi, sans y manquer, l'eau sainte tous les ans 12
Purifie avec soin bergers et bergerie ; 12
20 Mon lait offre à Palès d'agréables présens ; 12
Car Palès fut toujours ma déïté chérie ; 12
Palès reçoit mes vœux, soit qu'un tronc délaissé 12
Me montre dans un champ son image rustique, 12
Soit que parmi des fleurs, sur le chemin placé, 12
25 Son buste s'offre à moi, fait d'une pierre antique. 12
Tous les ans j'offre au Dieu qui veille à nos guérets 12
Les prémices des fruits que la saison me donne. 12
Je veux à ton autel, bienfaisante Cérés, 12
De mes premiers épis suspendre une couronne, 12
30 Et que dans mon jardin Priape avec sa faux 12
De mes arbres en fruit écarte les oiseaux. 12
Et vous, jadis gardiens d'un héritage immense 12
Tunc vitula innumeros lustrabat cæsa juvencos :
Nunc agna exigui est hostia magna soli.
Agna cadet vobis, quam circum rustica pubes
Clamet : Io messes et bona vina date.
Adsitis, divi, neu vos e paupere mensa
Dona, nec e puris spernite fictilibus.
Fictilia antiquus primum sibi fecit agrestis
Pocula, de facili composuitque luto.
At vos exiguo pecori, furesque, lupique,
Parcite ; de magno est preda petenda grege.
Non ego divitias patrum fructusque requiro,
Quos tulit antiquo condita messis avo.
Parya seges satis est ; satis est requiescere tecto,
Si licet, et solito membra levare toro.
Dont il ne m'est resté que ce chétif enclos, 12
Pourriez-vous être exclus de ma reconnaissance ? 12
35 O mes dieux paternels ! jadis un fier taureau 12
Fut d'un troupeau nombreux l'offrande légitime ; 12
Mais, hélas ! aujourd'hui vous n'aurez qu'un agneau, 12
Pour un bercail si pauvre assez riche victime. 12
Autour de cet agneau qui tombe en votre honneur, 12
40 Voyez-vous ces bergers, vous demander en chœur 12
De fertiles moissons et d'heureuses vendanges ? 12
Ah ! ne rejetez point leurs vœux et leurs louanges ; 12
Agréez nos festins sans recherche apprêtés, 12
Et nos dons dans l'argile humblement présentés. 12
45 Autrefois d'une main grossièrement habile 12
Le premier vase aux champs fut fait de simple argile. 12
Mais vous, brigands cruels, et vous loups ravisseurs, 12
Fuyez, laissez en paix mes pauvres pâturages, 12
Et, loin de mes brebis, détournant vos fureurs, 12
50 Sur un troupeau plus riche exercez vos ravages. 12
Je ne regrette point les biens de mes aïeux, 12
Ni leurs riches moissons, mon antique héritage ; 12
Ce que j'ai me suffit, et j'en rends grâce aux dieux. 12
Il suffit que je puisse en mon humble ermitage, 12
Quam juvat immites ventos audire cubantem,
Et dominam tenero continuisse sinu :
Aut, gelidas hibernus aquas quum fuderit Auster,
Securum somnos, imbre juvante, sequi !
Hoc mihi contingat : sit dives jure, furorem
Qui maris et tristes ferre potest pluvias.
Jam modo nunc possum contentus vivere parvo,
Nec semper longæ deditus esse viæ :
Sed Canis æstivos ortus vitare sub umbra
Arboris, ad rivos praetereuntis aque.
O quantum est auri potiùs pereatque smaragdi,
Quam fleat ob nostras ulla puella vias.
55 Passer en paix mes jours ; et, las de mes travaux, 12
Retrouver chaque soir mon lit et le repos. 12
Quel plaisir d'écouter la tempête en furie, 12
A l'abri dans ma couche étendu mollement, 12
Et d'embrasser alors mon amante chérie ! 12
60 Que j'aime à me sentir assoupi doucement, 12
Au bruit que sur mon toit fait en tombant la pluie. 12
Dieux ! donnez-moi ces biens, et rendez opulent, 12
(Il vous paye assez cher ce funeste avantage) 12
Celui qui peut braver et les flots et l'orage. 12
65 Moi de peu désormais je sais vivre content. 12
Je ne veux plus errer de voyage en voyage ; 12
Mais le long d'un ruisseau qui fuit parmi les fleurs 12
J'irai goûter le frais sous un épais ombrage. 12
Oh ! périsse Plutus et toutes ses faveurs, 12
70 Avant que mon départ pour un lointain rivage 12
Puisse à quelque beauté coûter encor des pleurs ! 12
Te bellare decet terra, Messala, marique,
Ut domus hostiles præferat exuvias.
Me retinent vinctum formosæ vincla puellæ,
Et sedeo duras janitor ante fores.
Non ego laudari curo, mea Delia : tecum
Dummodo sim, quæso, segnis inersque vocer.
Ipse boves, mea, sim tecum modo, Delia, possim
Jungere, et in solo pascere monte pecus ;
Et, te dum liceat teneris retinere lacertis,
Mollis in inculta sit mihi somnus humo !
Quid Tyrio recubare toro sine amore secundo
Prodest, cùm fletu nox vigilanda venit ?
Nam neque tum pluma, nec stragula picta soporem,
Nec sonitus placidae ducere possit aquæ.
Ferreus ille fuit, qui, te cùm posset habere,
Maluerit praedas stultus, et arma sequi.
Toi, combats, Messala, sur la terre et sur l'onde, 12
Et pare ta maison des dépouilles du monde ; 12
Ce sont là tes destins : fait pour un autre emploi, 12
75 Moi je suis arrêté dans les fers d'une belle, 12
Qui jour et nuit m'enchaîne à sa porte cruelle. 12
Que m'importe la gloire ? O Délie, avec toi, 12
Je consens qu'on m'appelle, et lâche et sans courage ; 12
Avec toi, ma Délie, habitant d'un village, 12
80 Je veux moi-même au joug attacher mes taureaux, 12
Et garder mes brebis au penchant des côteaux. 12
Je veux goûter, Délie, un sommeil plein de charmes, 12
Dans tes bras caressans, sur la terre étendu ; 12
Eh ! que sert, dans un lit de soie et d'or tendu, 12
85 Une nuit sans amour, et condamnée aux larmes ? 12
Voit-on que le duvet, les rideaux somptueux, 12
Et les tapis de pourpre, et leur riche peinture, 12
Et l'onde des ruisseaux, avec son doux murmure, 12
Trouvent l’art d'assoupir un amant malheureux ? 12
90 Grands dieux ! quels noms donner au mortel insensible, 12
Qui pouvant sur ton cour régner amant paisible, 12
Ille licet Cilicum victas agat ante catervas,
Ponat et in capto Martia castra solo ;
Totus et argento contextus, totus et auro
Insideat celeri conspiciendus equo.
Te spectem, suprema mihi quum venerit hora,
Te teneam moriens deficiente manu.
Flebis et arsuro positum me, Delia, lecto,
Tristibus et lacrymis oscula mixta dabis.
Flebis ; non tuà sunt duro præcordia ferro
Vincta, nec in tenero stat tibi corde silex.
Illo non juvenis poterit de funere quisquam
Lumina, non virgo sicca referre domum.
Tu Manes ne læde meos : sed parce solutis
Crinibus, et teneris, Delia, parce genis.
Chercha l'or et la gloire au milieu des combats, 12
Dût-il jusques au fond de leurs lointains climats, 12
Suivant des ennemis les troupes fugitives, 12
95 Planter ses étendards sur leurs villes captives, 12
Et d'or resplendissant, sur un fougueux coursier 12
Éblouir tous les yeux de son éclat guerrier ? 12
Quand mon heure viendra, puissé-je, ô mon amante, 12
Pour la dernière fois sur ton sein me pencher, 12
100 Puissé-je te presser d'une main défaillante, 12
Et d’un dernier regard en mourant te chercher ! 12
Qu'alors tu pleureras, en me voyant sans vie, 12
Sur ma couche funèbre attendre le bûcher ! 12
Oui, couvrant de baisers ma dépouille chérie, 12
105 Tu pleureras ; les Dieux, ô ma tendre Délie, 12
Ne t'ont point fait un cœur de fer ou de rocher. 12
Eh ! quelle amante, hélas ! quel amant sans entrailles, 12
Pourra voir d'un vil sec mes tristes funérailles ? 12
Mais crains de m’affliger au-delà du trépas, 12
110 Et dans ton désespoir épargne tes appas, 12
Interea, dum fata sinunt, jungamus amores :
Jam veniet tenebris Mors adoperta caput.
Jam subrepet iners atas, nec amare decebit,
Dicere nec cano blanditias capite.
Nunc levis est tractanda Venus, dum frangere postes
Non pudet, et rixas inseruisse juvat.
Hic ego dux milesque bonus : vos, signa tubæque,
Ite procul ; cupidis vulnera ferte viris.
Ferte et opes ; ego composito securus acervo
Despiciam dites, despiciamque famem.
Aimons-nous ; la vieillesse arrive à tire-d'aile : 12
Un crêpe sur le front la mort vient derrière elle, 12
Et, lorsque nos beaux ans nous ont fuis sans retour, 12
Il ne sied plus d'aimer ni de parler d'amour. 12
115 Aimons donc, que Vénus sous ses lois nous enchaîne, 12
Tant que je puis encor, jeune, intrépide aux coups, 12
Affronter un rival et briser des verroux. 12
Ce sont là mes exploits ; soldat ou capitaine, 12
Voilà mon champ d'honneur, mes combats, mes lauriers, 12
120 Loin de moi, fiers clairons, étendards meurtriers ! 12
Allez, portez à l'âme ambitieuse et vaine, 12
La gloire, l'opulence, et peut-être la mort ; 12
Cependant que tranquille et bénissant le sort, 12
Sûr de couler mes jours dans une douce aisance, 12
125 Je me ris des trésors, et brave l'indigence. 12
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