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Charles LOYSON
LE BONHEUR DE L'ÉTUDE :
discours en vers et autres poésies
1817
DISCOURS SUR LE BONHEUR
QUE PROCURE L’ÉTUDE DANS TOUTES
LES SITUATIONS DE LA VIE (1)
Me verò primùm dulces ante omnia Musœ.
Non, pour nous séparer, en vain l'on m'importune, 12
En vain d'un front riant la trompeuse Fortune 12
M'appèle sur ses pas vers des sentiers fleuris ; 12
Nous resterons ensemble, ô mes livres chéris ! 12
5 Tout entier à vous seuls dans cette solitude, 12
Je veux jouir en paix des douceurs de l'étude. 12
Je veux de vos leçons sans cesse me nourrir, 12
Je veux vivre avec vous, et près de vous mourir. 12
De la Déesse aveugle écoutant les promesses, 12
10 Assez d'autres sans moi chercheront les richesses ; 12
Assez d'autres des Grands brigueront la faveur, 12
C'est de vous, de vous seuls, que j'attends mon bonheur. 12
Plaisirs de la raison ! ô voluptés de l'âme ! 12
Sublime amour du vrai ! feu divin dont la flamme, 12
15 Dans les nobles esprits qui lui servent d'autel, 12
Brûle pour consumer ce qu'ils ont de mortel, 12
Qui des pertes des sens nourrit l'intelligence, 12
L'enivre et la ravit de sa propre excellence ! 12
Dans l'univers entier est-il des biens plus doux ? 12
20 Qu'il est digne d'envie, ô Muses, près de vous, 12
Celui qui, dans l'ardeur d'apprendre et de connaître, 12
De cette nuit confuse où le sort nous fit naître, 12
Avec de longs efforts, par degrés s'affranchit, 12
Et de trésors nouveaux chaque jour s'enrichit ! 12
25 Pour l'homme dépouillé de sa noble nature, 12
Il n'est point ici bas de félicité pure ; 12
Je le sais : toutefois ce roi dépossédé 12
De son rang sans retour ne fut point dégradé ; 12
De chaque bien jadis perdu par sa disgrace, 12
30 Dans son âme inquiète un besoin tient la place, 12
Et poussant vers ces biens un éternel soupir, 12
Il met toute sa joie à les reconquérir. 12
Ainsi l'âme, aspirant à sa clarté première', 12
Et s'indigne de l'ombre, et cherche la lumière, 12
35 Et, faite pour savoir, par l'étude à la fois 12
Retrouve son bonheur et recouvre ses droits. 12
Dans quel ravissement après vingt ans d'absence 12
Un exilé revoit les lieux de sa naissance ! 12
Quel bonheur on, éprouve à l'aspect d'un trésor 12
40 Perdu depuis longtems et qu'on regrette encor ! 12
De l'homme qui s'instruit, sublime et juste emblême ! 12
Dans chaque découverte il se trouve lui-même : 12
Aussitôt qu'à ses yeux brille la vérité, 12
De joie à son aspect et d'orgueil transporté, 12
45 Il reconnaît son bien, et, fier de son partage, 12
Il sent que sa conquête était son héritage. 12
Volupté ! qu'à l'envi les aveugles mortels 12
De leurs veux insensés fatiguent tes autels ; 12
Et, tandis que sans fruit invoquant leur idole, 12
50 Ils se tourmenteront pour une ombre frivole, 12
Puissé-je, seul et libre, habiter à jamais 12
Ces paisibles hauteurs, ces tranquilles sommets, 12
Ou, loin des vils soucis de l'humaine faiblesse, 12
Dans un calme éternel réside la Sagesse ! 12
55 Ouvrez-vous à mes yeux, ô temples éclatans ! 12
Solennels rendez-vous et des lieux et des tems, 12
Où ces mortels divins, que l'étude rassemble, 12
Méditent de concert, et s'éclairent ensemble. 12
Quels sublimes objets ! quels spectacles divers ! 12
60 Le monde et son auteur ! Dieu, l'homme et l'univers 12
Avec ravissement, sur cette vaste scène 12
Mon regard ébloui lentement se promène, 12
Et je trouve partout, dans ces nombreux tableaux, 12
De nouvelles leçons et des plaisirs nouveaux ; 12
65 Semblable au voyageur, qui le front dans les nues, 12
Debout sur l'Appenin ou les Alpes chenues, 12
Contemple au loin l'espace, et d'un œil enchanté, 12
Se perd dans l'étendue et dans l'immensité. 12
Ses annales en main, là l'histoire m'appèle, 12
70 Des siècles fugitifs confidente immortelle, 12
J'observe, à son flambeau, de vingt peuples épars 12
Le berceau, les progrès, les mœurs, les lois, les arts. 12
Ici croissent les uns, là les autres succombent ; 12
J'entends le bruit confus des empires qui tombent ; 12
75 Memphis, Athènes, Rome ont passé tour-à-tour, 12
Et, brillant un moment, nous passerons un jour. 12
Heureux quand du milieu des fureurs et des crimes 12
Je vois jaillir du moins quelques vertus sublimes ! 12
A de plus grands objets élevant ma raison, 12
80 Là Montesquieu m'enseigne, assis près de Platon, 12
Quelle loi, tour-a-tour dépendans, nécessaires, 12
De la société, nous rend tous tributaires ; 12
Quel besoin réciproque et quels liens secrets 12
Des sujets et des rois joignent les intérêts ; 12
85 Faisant chérir au peuple une juste puissance, 12
Placent sa liberté dans son obéissance ; 12
Et, par l'heureux secours d'un accord mutuel, 12
Font du bien de chacun le bien universel. 12
Que vois-je ! pénétrons sous cette voûte obscure : 12
90 Là, travaille en secret l'éternelle Nature ; 12
Là, sous de noirs rochers rayonnent les cristaux, 12
Ou dans de vastes lits s'étendent les métaux. 12
Là se durcit le fer, qui, sorti de la terre, 12
Armera la faucille ou le char de la guerre ; 12
95 Là naît l'or, don funeste et fléau précieux.', 12
Ah ! qu’exclu pour jamais de la clarté des cieux, 12
Ne peut-il dans le sein de la mine profonde, 12
Renfermer avec lui les maux qu'il fait au monde ! 12
Sur la terre bientôt, loin de ce noir séjour, 12
100 L'empire végétal me rappelle à son tour 12
Quelles plantes sans nombre ont peuplé les campagnes, 12
Croissent dans les vallons, et couvrent les montagnes ! 12
O Linnée ! apprends-moi leurs noms et leurs vertus, 12
Leur histoire, leurs mœurs, leurs destins, leurs tribus ; 12
105 Dans ces étroits canaux qui fait monter la sève ; 12
Pourquoi rampe le lierre, et le cèdre s'élève ; 12
Comment du même sol naissent en même tems 12
Et les poisons mortels et les fruits bienfaisans ; 12
Quel est cet arbrisseau qui végète et respire, 12
110 Citoyen indécis de l'un et l'autre empire. 12
Mais dequel mouvement sont animés les airs, 12
Les champs, les bois, les monts, les fleuves et les mers ? 12
Ce n'est plus la Nature immobile et muette, 12
Ce n'est plus de la vie une ébauche imparfaite ; 12
115 C'est la vie et l'instinct, et presque la raison, 12
Venez, guidez mes pas, Aristote et Buffon, 12
De ce règne nouveau montrez-moi les merveilles, 12
Les mœurs de la fourmi, les travaux des abeilles, 12
L'habitant d'un brin d'herbe et les monstres des eaux ; 12
120 Montrez-moi les instincts de ces charmants oiseaux, 12
Leurs penchans,leurs amours,leurs plaisirs,leurs voyages 12
Leurs polices, leurs chants, peut-être leurs langages ! 12
Admirables objets, tableaux intéressans 12
Toujours plus enchanteurs, toujours plus ravissans ! 12
125 Toutefois ce sont là de vulgaires miracles ; 12
La Nature m’invite à de plus grands spectacles. 12
Quel sublime mortel, d'un vol audacieux, 12
Avec lui tout-à-coup m'emporte dans les cieux ? 12
C'est Newton : je le vois qui couronne sa tête. 12
130 De mille astres brillants devenus sa conquête. 12
Dans le centre du monde, un compas à la main ! 12
D'un air tranquille et fier il s'assied, et soudain. 12
Tous ces globes, errans sous d’éclatantes voûtes, 12
A sa puissante voix reconnaissant leurs routes, 12
135 L'un par l'autre attirés, accomplissent leur cours, 12
Toujours près de le rompre et le suivant toujours. 12
Bientôt à mes regards des cieux inconnus s'ouvrent, 12
Des régions sans fin devant moi se découvrent, 12
Carrière illimitée, où, par les mêmes lois, 12
140 Mille univers flottans se meuvent à-la-fois. 12
Je vois de tous côtés, dans ces plaines profondes, 12
Autour d'autres soleils graviter d'autres mondes ; 12
Et, lorsque pour peupler les espaces déserts, 12
Je suis las d'enfanter de nouveaux univers 12
145 Le vide encor s'étend, et, dans son sein immense, 12
Par-delà l'infini l'infini recommence. 12
Éperdu je m'arrête, et j'aperçois par-tout 12
Dieu qui soutient, dirige, enferme et borne tout. 12
Mais au-dessus des cieux dans les degrés de l'être, 12
150 Et plus grand que les cieux puisqu'il peut les connaître, 12
Mon esprit étonné, lui-même s'offre à lui ; 12
Mystérieux abîme, où mon œil ébloui 12
Sous le voile sacré d'un éclatant nuage, 12
De la divinité découvre encor l'image. 12
155 Alors j'ose, en tremblant, contempler sa grandeur, 12
Et de l'éternité sonder la profondeur. 12
Mais ma faible raison se confond et succombe, 12
Et dans un saint effroi sur soi-même retombe. 12
Ainsi, mes livres seuls pour maîtres, pour témoins, 12
160 A l'étude en secret je consacre mes soins. 12
Mais puis-je t'oublier, riante Poésie, 12
Ma bienfaitrice, Ô toi dont l'aimable ambroisie. 12
M'enivra si souvent de célestes douceurs ? 12
Avec des soins divers, tes immortelles sœurs 12
165 Cultivent à l'envi l'intelligence humaine, 12
Et se sont du savoir partagé le domaine. 12
Chacune a ses travaux, son talent, son emploi, 12
Mais l'immense Nature est toute entière à toi. 12
Une lyre à la main, hôtesse passagère, 12
170 Tu parcours l'Univers d'une marche légère ; 12
Tu vas semant partout les plus riches couleurs ; 12
Les déserts sous tes pas se couronnent de fleurs ; 12
Je te vois d'une rose orner le front des Grâces, 12
Ou parmi les soleils planer dans les espaces, 12
175 Te plonger dans l'abîme, ou, d'une aile de feu, 12
Sublime, t'élancer jusqu'au trône de Dieu. 12
Tandis que sur les fleurs d'une vaste prairie. 12
Mille hôtes différens ont choisi leur patrie, 12
Que chacun, à la sienne attaché pour toujours, 12
180 Voit dans le même lieu naître et finir ses jours ; 12
N'en habitant aucune et les visitant toutes, 12
Et des pleurs de l'Aurore y recueillant les gouttes ; 12
L'abeille y vient chercher ce nectar précieux, 12
Qui charme les mortels et sert d'offrande aux Dieux. 12
185 Telle, ô Fille du Ciel, dans ta course brillante, 12
Les agrémens divers que chaque art nous présente, 12
Tu sais les recueillir et nous les rends plus doux ; 12
Chacun donne le sien, tu nous les offres tous. 12
Combien des faux plaisirs, dont la foule est avide, 12
190 Les charmes sont bornés et la fuite rapide ! 12
Ils dépendent du lieu, de l'humeur, du moment ; 12
La volupté d'un âge est pour l'autre un tourment. 12
Muses, dans vos faveurs vous êtes plus égales ! 12
Vous les versez partout de vos mains libérales ; 12
195 Le moindre des mortels jouit de vos appas. 12
Dans toutes les saisons et dans tous les climats, 12
Sous un ciel sans nuage, au milieu des tempêtes, 12
Vous nous offrez des fruits et des fleurs toujours prêtes. 12
Heureux qui dans l'éclat de ses beaux jours naissans, 12
200 Lorsque tout parle au cour, sollicite les sens, 12
Lorsque la volupté nous tend partout ses chaines, 12
Qu'en torrens embrasés le sang court dans nos veines, 12
Et que, de mille feux notre âme s'allumant, 12
Tout en nous est puissance, ardeur et sentiment ; 12
205 Heureux qui peut alors savourer vos délices, 12
Qui de sa vie en fleur, vous offre les prémices, 12
De loin sème avec vous pour une autre saison, 12
Et vous donne à régler son cœur et sa raison ! 12
Heureux encor, heureux, alors que les années 12
210 De l'homme déjà mûr fixent les destinées, 12
Celui qui dans vos bras cherchant un doux repos, 12
Y vient de tems en tems oublier ses travaux, 12
Son état ; ses projets, les affaires publiques, 12
Les soins ', peut-être, hélas ! les chagrins.domestiques. 12
215 Plus heureux, le vieillard, dans l'âge des dégoûts, 12
Qui, de tout dépouillé, retrouve tout en vous ! 12
Seul, souffrant, sans appui, réduit à sa faiblesse, 12
Quel baume adoucirait les maux de sa vieillesse ? 12
Le tems jusqu'en leur source a tari ses plaisirs, 12
220 Glacé son espérance et même ses désirs. 12
De ses sens tour à tour son âme abandonnée 12
En elle-même enfin languit emprisonnée, 12
Et même avant la mort semble déjà mourir. 12
Oh ! que vienne l'étude alors le secourir ! 12
225 Pour lui le monde entier renaîtra dans un livre ; 12
Insensible aux assauts que l'âge en vain lui livre, 12
Il peut braver l'ennui, le tems et sa rigueur ; 12
Son âme, en s'exerçant, entretient sa vigueur ; 12
Dans ses veines toujours un jeune sang bouillonne ; 12
230 Et Sophocle à cent ans peint encor Antigone ! 12
Mais voyez vous ce Grand, dans son farouche accès, 12
Qui fait fuir devant lui femme, enfans et valets ? 12
Aurait-il éprouvé quelque affreuse disgrâce ? 12
Le tems ne permet pas de sortir pour la chasse ; 12
235 Point de bal à la ville, ou de cercle à la cour : 12
Monseigneur avec lui doit passer tout le jour ; 12
De là naît en son cœur le soin qui le travaille, 12
Et chacun doit trembler lorsque Monseigneur bâille. 12
Malheureux ! l'eut-on vu, victime de l'ennui, 12
240 Se tourmenter lui-même et tourmenter autrui, 12
S'il eût, plus studieux, dans sa bibliothèque, 12
Appris de Cicéron, d'Horace ou de Sénèque, 12
Qu'on peut seul avec soi passer une heure ou deux, 12
Et, sans forcer un cerf, quand il pleut, être heureux. 12
245 En ce moment peut-être il verrait dans l'histoire 12
A l'étude s'unir la grandeur et la gloire ; 12
Le guerrier renommé, le grave magistrat ; 12
Le brillant courtisan, le ministre d'état, 12
Souvent loin du barreau, du conseil et des armes, 12
250 D'un docte passe-tems venir goûter les charmes, 12
Oublier leurs emplois, ou, dans un doux loisir, 12
Même en s'en délassant, s'instruire à les remplir ; 12
Scipion et Térence, associant leurs veilles, 12
Richelieu disputant la palme des Corneilles ; 12
255 Catinat dans sa terre, et Condé recueilli, 12
Errant, César en main, au bois de Chantilly. 12
Il verrait jusqu'au sein de la grandeur suprême 12
Les Muses alléger le poids du diadème, 12
Le sceptre a ses chagrins ; infortunés soucis 12
260 Que la tendre amitié n'a jamais adoucis ! 12
Que je plains un monarque exilé sur son trône, 12
S'il ne vient quelquefois, déposant sa couronne 12
Dans ces écrits fameux d'âge en âge transmis, 12
Parmi les morts au moins chercher quelques amis ; 12
265 Oublier des grandeurs la triste inquiétude, 12
Les humains, leur bassesse et leur ingratitude ; 12
Ou même, environné des enfans des neuf sœurs, 12
D'un plaisir partagé connaitre les douceurs, 12
Et goûter en dépit de l'austère étiquette, 12
270 La seule égalité que son rang lui permette. 12
Qui surpasse un mortel que la Muse chérit ? 12
L'esprit dans tous les rangs est l'égal de l'esprit. 12
« Pour les Grands, dira-t-on, rare et beau privilége, 12
Qui leur donne les goûts et les mœurs du collége ; 12
275 Ainsi, m'offrant partout des pédans à galons, 12
De Vadius titrés vous peuplez nos salons. » 12
De notre tems au moins ce ridicule est rare : 12
Que de sots élégans pour un savant bizarre ! 12
Cléon même sait mieux, magistrat jouvenceau, 12
280 Nous fredonner Grétry que citer d'Aguesseau. 12
Eh quoi !d'ailleurs pour plaire et briller dans le monde, 12
Faudra-t-il de Damis l'ignorance profonde ? 12
Sur le modèle heureux d'Horace et d'Hamilton, 12
Ne peut-on plus unir l'étude et le bon ton ? 12
285 Socrate quelquefois soupait chez Aspasie ; 12
Et le brillant Boufflers fut de l'académie. 12
Heureux donc à la ville et dans l'éclat des cours 12
Celui dont les neuf sœurs embellissent les jours ! 12
Bien plus heureux aux champs, qui, dans la solitude, 12
290 S'est fait de leur commerce une douce habitude ! 12
Que, portant au hameau les mœurs de Sybaris, 12
Mondor bâille à Meudon, comme il bâille à Paris ; 12
Que toujours désœuvré, fuyant l'aspect d'un livre, 12
Sans le jeu qui l'ennuie il ne sache point vivre, 12
295 Et qu'un double rideau ; des rayons du soleil ; 12
Quand midi va sonner, garde encor son sommeil. 12
Pour moi, si quelque jour, si d'un réduit champêtre, 12
Au gré de mes souhaits, le destin me fait maître, 12
Je veux ; bien plus habile à remplir mes loisirs, 12
300 Que le temps trop rapide y manque à mes plaisirs. 12
O mes Auteurs chéris, venez dans mon asile, 12
Horace, Fénélon, La fontaine et Virgile ! 12
Quel bonheur dans les champs nous allons éprouver ! 12
Que vous m'y ravissez !que j'aime à retrouver 12
305 Ou la nature en vous, ou dans vous la nature ! 12
Tibulle, est-ce ta Muse, ou cette eau qui murmure 12
De vos brillans tableaux, de ces brillantes fleurs, 12
Qui déploie à mes yeux les plus riches couleurs ? 12
Que ma ruche me plaît, doux chantre des abeilles ; 12
310 Quand, ton livre à la main, j'en parcours les merveilles ! 12
Qu'avec plaisir je vois de superbes troupeaux, 12
Ainsi que dans ces champs bondir sous tes pinceaux ! 12
Qu'avec joie, à l'abri sous un rocher sauvage, 12
Au ciel et dans tes vers j'entends gronder l'orage ! 12
315 Le monde est dans l'effroi ; tout tremble, et de ton vers 12
Le vol s'est arrêté : tout-à-coup dans les airs 12
Il répète, en tonnant, les coups de la tempête, 12
Et des monts foudroyés je vois fumer la tête. (2) 12
Tant la Nature plait, tant l'art imitateur, 12
320 En peignant ses beautés sait enchanter le cœur ! 12
Doux plaisirs, eh ! combien vous l'êtes davantage, 12
Si quelque objet aimé près de moi vous partage ! 12
Un beau vers qu'on lit seul n'est goûté qu'à demi ; 12
Mais auprès d'une amante, et surtout d'un ami, 12
325 Corneille est plus sublime, et Racine est plus tendre. 12
O mon cher Édouard, combien j'aime à t'entendre 12
Tout-à-coup m'interrompre, et d'un ton animé, 12
Répéter après moi le vers qui m'a charmé ! 12
Qui de nous peut compter sur des jours sans nuages ! 12
330 Eh bien ! si du destin j'éprouve les outrages, 12
Si je suis par le sort, par les hommes trompé, 12
De coups plus déchirans, si quelque jour frappé…, 12
(Contre nos cours, hélas ! la fortune a tant d'armes) 12
Sur un tombeau chéri si je verse des larme 12
335 Muses, c'est vous encor qui serez mon recours ; 12
Je viendrai de l'étude emprunter les secours, 12
Près de vos favoris, dans vos doctes retraites, 12
Déposer le fardeau de mes peines secrètes ; 12
Et, dans leurs entretiens, mon courage abattu 12
340 Entendra retentir la voix de la vertu. 12
Eh ! quels soucis cruels, quelles douleurs amères 12
Ne sauraient adoucir leurs leçons salutaires ? 12
Voyageurs dans la vie, ils furent avant nous, 12
Presque tous malheureux et consolés par vous. 12
345 Pleurant dans votre sein je vois plus d'un grand homme. 12
La, Cicéron gémit sur sa fille et sur Rome ; 12
Ici, Quintilien,vous confiant ses pleurs, 12
Sent déjà quelque charme adoucir ses, douleurs ; 12
J'entends chanter le Dante errant et sans patrie, 12
350 Et toi, peintre immortel d'Armide et d'Herminie, 12
Homme, amant, citoyen, poëte infortuné, 12
Au fond d'un noir cachot seul, dans l'ombre, enchaîné, 12
On dit que les neuf Sœurs ont daigné le sourire ; 12
Et quelques sons encor échappaient à ta lyre. 12
355 Il est des tems affreux et des jours meurtriers 12
Où le malheur s'étend sur des peuples entiers. 12
Quand la Discorde, errant du milieu de nos villes, 12
Souffle partout la haine et les fureurs civiles, 12
Ou qu'épuisée enfin, ses efforts expirans 12
360 Pour couronner son œuvre enfantent les tyrans, 12
De qui dans l'univers implorer l'assistance ? 12
L'infortune est partout : nulle part l'espérance. 12
Le fer ensanglanté demande encor du sang, 12
La gloire et la vertu, le savoir et le rang, 12
365 Tout succombe ; mais loin de ces scènes tragiques, 12
Le sage s'est enfui dans les siècles antiques. 12
Demain son tour viendra ; mais, attendant son tour, 12
Il trompe l'infortune et lui dérobe un jour. 12
A Sparte, dans AthènesAthène, ou sur les bords du Tibre, 12
370 Malgré les oppresseurs il est heureux et libre. 12
Il consulte Socrate, il écoute Platon, 12
Il vit avec Pompée, et Brutus, et Caton ; 12
Son âme est leur amie et leur concitoyenne, 12
Au feu de leurs vertus il allume la sienne ; 12
375 Et, prenant des leçons de leur noble fierté, 12
Quand tout rampe ou fléchit, garde sa dignité. 12
Voyez-vous ce tyran ? la foule en vain l'ençense, 12
De Ducis, de Delille il entend le silence ; 12
Qu'il soumette à ses lois l'Europe et l'Univers 12
380 De leur muse inflexible il n'aura pas un vers. 12
Mais quel spectacle ici la Fortune m'étale : 12
Les sceptres sont brisés par sa rigueur fatale ; 12
Les peuples sont témoins de revers inouis, 12
Et d'exil en exil je vois errer Louis ! 12
385 O Muses, consolez son illustre infortune ! 12
Et jusque sur ces bords, favoris de Neptune, 12
Où la fière Albion rend au sang de nos Rois 12
Cette hospitalité qu'elle en reçut deux fois, 12
Muses, suivez ses pas ; d'une aimable princesse 12
390 Imitez, s'il se peut, les soins et la tendresse ; 12
Et si, dans l'heureux tems, dans le tems du pouvoir, 12
Sur les degrés du trône il vous a fait asseoir ; 12
Si, près de lui jadis, d'honneurs environnées, 12
Des rayons de sa gloire il vous a couronnées ; 12
395 Rendez-lui les présens que vous fit sa grandeur, 12
Sur son front dépouillé mettez votre splendeur ; 12
Faites que, dans l'éclat de sa noble misère, 12
De dix Rois ses vengeurs il paraisse le père ; 12
Et, le comblant enfin de vos dons les plus doux, 12
400 Méritez ce qu'un jour il doit faire pour vous. (3). ; 12
Tel est de vos bienfaits l'universel empire ; 12
Muses, dès le berceau, vous daignez nous sourire ; 12
En tous lieux, en tous tems vous marchez sur nos pas ; 12
A la ville, à la cour, au milieu des combats, 12
405 Dans l'asile des champs, sur de lointains rivages', 12
Vous savez enchanter tous les rangs, tous les âges ! 12
Douce société, commerce plein d'attraits, 12
Intéressant toujours, n'importunant jamais ; 12
Le cœur comme l'esprit se forme à votre école ; 12
410 Par vous croît le bonheur, le malheur se console, 12
La grandeur s'ennoblit ; vous ornez à la fois 12
La retraite du sage et le palais des Rois, 12
Et vous semez enfin tout le cours de la vie 12
De plaisirs sans remords et de biens sans envie. 12
415 Ah ! si le peuple entier de vos adorateurs 12
Pour prix de son encens obtient tant de faveurs, 12
A ces mortels, admis jusqu'en vos sanctuaires, 12
A ces Pontifes saints de vos divins mystères, 12
Qui par vous inspirés, vos flambeaux dans les mains, 12
420 Du pied de vos autels éclairent les humains ; 12
Quels dons réservez-vous, et de quelles délices 12
Savez-vous, doctes Sœurs, payer leurs sacrifices ? 12
Ineffables plaisirs du vulgaire ignorés ! 12
Oh, qui m'élèvera jusqu'à ces rangs sacrés ! 12
425 Que ne puis-je, au milieu de leur foule tranquille, 12
M'abreuver à longs traits du bonheur d'être utile ! 12
Que ne puis-je, à l'écart, sans soins, sans passions, 12
Oubliant et le monde et ses illusions, 12
Voir déjà, s'élançant des sphères éternelles, 12
430 Pour couvrir mon bûcher de ses brillantes ailes, 12
La gloire y recueillir mon immortalité, 12
Et la répandre au loin dans la postérité ! 12
Infortuné ! ! que dis-je, et quel espoir m'abuse ? 12
Reine des doux concerts, Calliope, ô ma Muse ! 12
435 O toi, qui d'un regard honoras mon berceau', 12
Que je veux invoquer jusqu'au bord du tombeau, 12
Viens, ah ! viens, de tes sœurs emprunte tous les charmes. 12
Vous avez, je le sais, essuyé bien des larmes ; 12
Vous avez soutenu des Grands dans leurs revers, 12
440 Des sages dans l'exil et des rois dans les fers ! 12
Pour des maux plus cruels aurez-vous un remède ? 12
Voyez ce malheureux que votre amour possède ; 12
Jeune encor, et déjà de langueur accablé, 12
Loin de vos bois chéris ses maux l'ont exilé. 12
445 Souvent son sang s'allume, et son œil étincelle ; 12
Il prend encor son luth ; mais sa force infidèle 12
De son enthousiasme a trahi les élans. 12
Ainsi le voyageur, dans des déserts brûlans, 12
Couché près d'une source où sa soif peut s'éteindre, 12
450 Dans d'impuissans efforts meurt sans pouvoir l'atteindre : 12
Adieu, plaisirs divins ! adieu, charmans accords, 12
Qui de son âme ardente enflammiez les transports ! 12
Adieu, chères erreurs ! adieu douce fumée ! 12
Songes de l'avenir, gloire, éclat, renommée, 12
455 Noble orgueil du talent qui croit sentir son prix ; 12
Et vous, ô ses travaux, vainement entrepris ! 12
On arrache sa lyre à sa 'main affaiblie, 12
Et, pour sauver ses jours, on vent qu'il vous oublie. 12
Eh ! que lui font sans vous des jours infortunés, 12
460 Dans l'éternelle nuit en silence entraînés ? 12
Lâches avis ! non, non, qu'il brille et se consume ! 12
C'est pour périr bientôt que le flambeau s'allume ; 12
Mais il brûle un moment sur les autels des dieux. 12
Voyez, quand le trépas va lui fermer les yeux, 12
465 Ce fils de qui l'on veut écarter une mère, 12
Contre son sein mourant il la tient, il la serre, 12
Il lui sourit encor, et, tranquille en ses bras, 12
De la mort qui s'avance il n'entend plus les pas : 12
Tel l'enfant d’Apollon, près de la rive sombre, 12
470 Embrasse encor la gloire, et s'attache à son ombre. 12
Fuyez, soucis cruels, fuyez, noires terreurs ; 12
Laissant à l'harmonie endormir ses douleurs, 12
Il veut, les yeux fixés sur les fleurs de la rive, 12
Livrer au fier torrent sa barque fugitive,() 12
475 Et dans l'abîme affreux mollement descendu, 12
Y disparaître enfin sans l'avoir aperçus 12
Sous ses doigts défaillans, à l'instant qu'il expire, 12
Un son mélodieux anime encor sa lyre ; 12
Et, bercé par la Muse, à son dernier moment, 12
480 Dans des rêves de gloire il s'endort doucement. 12
Ainsi, près des autels, de festons couronnée 12
La tranquille victime, aux Muses destinée, 12
Regardant sans effroi les sacrificateurs, 12
Tombe au milieu des chants, de l'encens et des fleurs. 12
485 Tel l'immortel oiseau de l'heureuse Arabie, 12
Lorsque pour la reprendre il va quitter la vie, 12
Se compose à lui-même un bûcher parfumé, 12
Où, des feux du soleil sans douleur consumé, 12
Il renaît tout à coup de ses cendres fumantes, 12
490 Et, dans des tourbillons de flammes odorantes, 12
Rajeuni par la mort, brillant et glorieux, 12
Il fait loin de la terre, et se perd dans les cieux. 12
(1)  Ce Discours a obtenu l'accessit du prix de poésie, décerné par l'Académie française, dans sa séance du 25 août 1817.
(2)  Ipse pater, media nimborum in nocte, corusca Pulmina molitur dextrá ; quo maxima motu Terra tremit, fugêreferæ, et mortalia corda Per gentes humilis stravit pavor : Ille flagranti Aut Athori, aut Rhodopen qut elta Ceraunia telo Dejicit. VIRGIL. Georg. Lib. Id(24)
(3)  Après ces vers venait le morceau suivant dans la copie présentée à l'Académie française ; l'auteur a cru devoir les retrancher. C'est, au reste, le seul changement qu'il ait fait à sa pièce.
Tantôt lui présentant les fastes de l'histoire, De ses puissans ayeux retracez-lui la gloire ; Montrez-lui leurs vertus ; héritier de Henri, Que, dans le règne heureux de ce Prince chéri, Et l'amour éternel des Français pour leurs maîtres, Il lise son retour au rang de ses ancêtres ; Que, tantôt occupé de plus nobles objets, Il médite avec vous le bonheur des Français ; Quel frein' le bien commun doit mettre à sa puissance ; Comment de deux sénats la rivale assistance Veillera près du trône à l'équité des lois ; Du monarque et du peuple y maintiendra les droits, Et, de l'état partout assurant l'équilibre, Rendra le Roi puissant, et le Citoyen libre. Ainsi, dans ses loisirs, sage législateur, Que des siècles futurs il soit le bienfaiteur,
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