Métrique en Ligne
LOU_1/LOU1
Pierre LOUŸS
ŒUVRES COMPLÈTES
TOME XIII
POÉSIES
1888-1920
PREMIERS VERS
Ô toi que je n’ai jamais vue, 8
Qui jamais ne m’es apparue 8
Et qui m’es pourtant bien connue, 8
Ô toi ! 2
5 Fillette à la lèvre ingénue, 8
Ma maîtresse tant attendue, 8
Qu’en mes rêves je presse nue 8
Sur moi ! 2
Ô mon amour ! ô ma chérie ! 8
10 Toi qui dois être si jolie, 8
Ô toi que j’aime à la folie, 8
Enfant ! 2
Bien que ton joli corps n’existe 8
Que dans l’imagination triste 8
15 D’un pauvre fou au cœur d’artiste 8
Naissant ! 2
Pourquoi ne viens-tu pas vers moi ? 8
Moi qui ne puis vivre sans toi, 8
Tu me laisses tout seul… Pourquoi ? 8
20 Cruelle ! 2
Hélas ! je ne puis voir ses yeux, 8
Je ne puis sentir ses cheveux, 8
Je ne serai jamais heureux 8
Sans elle ! 2
25 Si tu savais ! Pendant la nuit, 8
Lorsque, tout seul dans mon grand lit, 8
Dans le silence et loin du bruit 8
Je rêve, 2
Dans mes désirs inapaisés 8
30 Je sens sur moi tous tes baisers 8
Sur ma joue ardente posés 8
Sans trêve. 2
Si tu savais cela, bien vite 8
Quittant la maison qui t’abrite, 8
35 Tu viendrais vers moi qui t’invite, 8
Hélas ! 2
Oh ! tu viendrais, dis, ma petite, 8
Sans plus que je te sollicite, 8
Par ma passion déjà séduite, 8
40 Tout bas. 2
Tu viendrais toute radieuse, 8
Ployant ta taille gracieuse, 8
Ô toi, si vive et si joyeuse, 8
M’aimant, 2
45 Tu m’apparaîtrais merveilleuse 8
Dans ta beauté voluptueuse, 8
Entr’ouvrant ta lèvre amoureuse 8
Gaîment… 2
Mais peut-être ta destinée 8
50 Comme la mienne est attristée ; 8
Et, sous une grille enfermée, 8
Tu dois 2
Dans ton couvent emprisonnée, 8
Quand tu rêves, au lit couchée, 8
55 Te sentir toute enamourée 8
Parfois. 2
Être jeune, et vivre en prisons ! 8
Oh ! quand les désirs polissons 8
Font naître en toi de longs frissons 8
60 De fièvres… 2
Corbleu ! quelles démangeaisons 8
De planter la devoirs, leçons, 8
Pour poser sur les beaux garçons 8
Tes lèvres ! 2
65 Ah ! brise donc ton chapelet ! 8
Viens avec moi dans la forêt… 8
Laisse-moi couper ton lacet… 8
Éclate 2
De rire, si cela te plaît. 8
70 Laisse-moi froisser ton corset 8
Et chiffonner dans son filet 8
Ta natte. 2
Ah ! jouissons de notre jeunesse ! 8
Dénoue au vent ta folle tresse… 8
75 Embrassons-nous, ô ma maîtresse, 8
Veux-tu ? 2
Laisse-moi te toucher sans cesse ! 8
Oh ! permets que je te caresse 8
Et que sur mon sein je te presse 8
80 À nu. 2
Oh ! pardon ! Que viens-je de dire ? 8
Oh ! mon Dieu ! j’étais en délire. 8
Quoi ! tu t’en vas, tu te retires ? 8
Oh ! non ! 2
85 Tu resteras, dis !… Ton sourire, 8
Je le verrai toujours luire. 8
Oh ! tu ne vas pas me maudire ?… 8
Pardon ! 2
Soyons chastes et reste pure. 8
90 Que sur ton sein blanc ta guipure 8
Monte très haut sans échancrure ! 8
Permets 2
Que je baise sur ta figure 8
Tes yeux noirs que le ciel azure, 8
95 Que je sente ta chevelure 8
De jais ! 2
Mais restons-en là, ma chérie ! 8
Que toujours ta peau si jolie, 8
Que ta gorge rose et polie 8
100 D’enfant, 2
Sous ta chemise ensevelie, 8
Cache aux yeux sa forme arrondie, 8
Dans ton chaste corset blottie 8
Gaîment. 2
105 Nous allons tant nous adorer ! 8
Je ne ferai que t’admirer 8
Et, te regardant, murmurer : 8
« Je t’aime ! » 2
Sans jamais, jamais nous quitter, 8
110 Nous allons tant nous embrasser 8
Que tu finiras par m’aimer 8
Toi-même ! 2
Et je verrai tes deux grands yeux, 8
Je passerai mes doigts nerveux 8
115 Dans la forêt de tes cheveux 8
Sans trêve ; 2
Et, restant ainsi tous les deux, 8
Toujours contents, toujours joyeux… 8
— Mais tout cela n’est, malheureux ! 8
120 Qu’un rêve !… 2
Ah ! pourquoi pensé-je, insensé ! 8
Dans mon esprit trop passionné, 8
À ce que jamais je n’aurai 8
Sans doute, 2
125 Puisqu’il me faut, emprisonné 8
Dans un collège détesté, 8
Suivre, sans bonheur ni gaîté, 8
Ma route. 2
Puisque moi, dont toute l’envie 8
130 Est une enfant jeune et jolie 8
Avec qui je verrais la vie 8
En beau 2
On m’enterre, on me momifie 8
Dans cette école où je m’ennuie… 8
135 Ah ! je te hais, pédagogie, 8
Tombeau ! 2
Oh ! mon Dieu ! c’est là la jeunesse, 8
L’âge où déborde l’allégresse, 8
Où tout plaisir est une ivresse ! 8
140 Et moi, 2
Ma chair est vierge de caresse ; 8
À seize ans, pas une maîtresse 8
Ne m’a juré, dans sa tendresse, 8
Sa foi ! 2
145 Mon amour dompté me déchire… 8
La femme épandant son sourire 8
Vers le fruit défendu m’attire… 8
Le jour 2
Vient où finira mon martyre ; 8
150 Et, malgré ce qu’on pourra dire, 8
Je connaîtrai, dans mon délire, 8
L’amour ! 2
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