Métrique en Ligne
LOR_3/LOR175
Jean LORRAIN
MODERNITÉS
1885
FLEURS DE BOUE
FLEURS DE BOUE
VALSE LENTE
Mince et blonde, en satin bleu pâle 8
Et l’aigrette de diamant. 8
En clartés droites s’allumant 8
Sur sa frêle tête idéale. 8
5 Elle ôte avec des gestes lents 8
Ses gants montant jusqu’à l’épaule 8
Et, sous les feux étincelants 8
Du triple collier qui la frôle, 8
Elle attend, désirant savoir 8
10 Pourquoi, si correct d’habitude, 8
Le comte avait au bal ce soir 8
Cette étrange et morne attitude ; 8
Et, relevant ses bandeaux roux, 8
Un peu défrisés sur la tempe, 8
15 Elle interroge le jaloux 8
En tête-à-tête sous la lampe. 8
« Quel motif aviez-vous ce soir 8
« D’être grotesque à l’ambassade ? 8
« Un pitre est triste en habit noir. 8
20 Dit-elle à son mari maussade. 8
« Seriez-vous jaloux par hasard ? 8
Et comme il hausse les épaules, 8
« Alors ! pourquoi ce prompt départ 8
« Et cet air imité des saules ? 8
25 « C’est pour monsieur de Charnancer ? 8
« Vous seriez mécontent, Léonce, 8
« Pour trois fois qu’il m’a fait danser ? 8
« Mais il est le neveu du Nonce. 8
« J’ai même au Ministre accordé 8
30 « Sous les mimosas de la serre 8
« Le long entretien demandé 8
« Et Dieu sait si c’est pour vous plaire ! 8
« Car elle est d’un ennui réel, 8
« Cette Excellence de passage, 8
35 « Et le grand air officiel 8
« De la ministre et son corsage ! 8
« Pour obtenir ce résultat 8
« Supportez donc une heure entière 8
« L’ennui profond d’un chef d’État 8
40 « Morne époux de sa cuisinière ? 8
« De votre gros banquier Bompard 8
« Enfin j’ai, sachant votre compte 8
« De plus de six mois en retard, 8
« Accepté l’affreux bras sans honte ! 8
45 « Et parce que, lasse d’ennui, 8
« J’ai pour le cotillon… quel crime ! 8
« Accepté ce grand fou de Guy, 8
« Vous prenez des airs de victime ! » 8
« — J’ai surpris ce soir vingt clins d’yeux, 8
50 « Quand vous valsiez avec ces drôles, 8
« Guy de Séranne et Jean Herbieux, 8
« Et ce sont là de jolis rôles 8
« Pour un mari d’être témoin 8
« Des valses lentes de sa femme ! 8
55 « Ces cotillons là mènent loin, 8
« Quand on porte un grand nom, madame ! » 8
Mais elle, d’un froid regard clair 8
Arrêtant monsieur, qui s’anime 8
« Ces valses lentes, là, mon cher, 8
60 « Ne m’ont pas menée à l’abîme. 8
« Vous le savez… puisqu’après tout, 8
« Avec dix mille écus de rente, 8
« Vous avez chasse à Montretout, 8
« Hôtel ici, la vie errante 8
65 « L’hiver à Nice, à Monaco, 8
« Où je solde encor votre dette, 8
« Quand vous ne faites pas banco 8
« Au bac, où votre honneur s’entête. 8
« La valse est mon mauvais côté », 8
70 Et comme frappant sa semelle 8
Au tapis sourd, l’œil irrité, 8
L’homme a sifflé ce mot : « Femelle ! » 8
— « Femelle… » en êtes-vous certain 8
Reprend la femme, tête haute. 8
75 « Le complaisant vaut la catin 8
« Si je suis telle, à qui la faute ? 8
« Si je fournis à votre jeu, 8
« À vos maîtresses, par ma honte, 8
« J’ai bien gagné, j’espère, un peu 8
80 « Le droit de valser pour mon compte ! 8
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