Métrique en Ligne
LOR_3/LOR167
Jean LORRAIN
MODERNITÉS
1885
FLEURS DE BOUE
FLEURS DE BOUE
L’IMPAIR
Dans son long peignoir de Malines, 8
Pensive, avec des gestes lents 8
De ses errantes mains câlines, 8
Elle effeuilla les lilas blancs. 8
5 Quand elle eut au bord de l’alcôve 8
Éparpillé toutes les fleurs, 8
Elle prit son éventail mauve 8
Et, baignant ses chaudes pâleurs 8
Dans le rythme ailé de la soie, 8
10 La belle au profil insolent 8
Me dit : « Mon cœur n’a plus de joie, 8
« En vérité, c’est désolant. 8
« Vous aviez tout, vous, pour me plaire : 8
« L’air commun et les yeux goulus 8
15 « Des gars normands peinant dans l’aire 8
« À blé, débraillés et velus. 8
« Vous, au moins, large et brun de hâles, 8
« Vous avez du sang sous la peau 8
« Et les robustes forts des Halles 8
20 « Portent comme vous leur chapeau. 8
« J’ai tant aimé chez la marquise 8
« Votre faux air endimanché ; 8
« Je t’ai pris, la chose est exquise, 8
« Presque pour un garçon boucher, 8
25 « Et de suite ai dit : quel dommage 8
« Qu’on ait lavé ce garçon-là. 8
« Puis, quand j’ai su que du village 8
« Tu venais d’arriver : Voilà 8
« Le phénix, l’oiseau bleu, me dis-je, 8
30 « Nouveau de la tête au talon. 8
« La fleur est encor sur la tige, 8
« Nous dresserons cet étalon. 8
« Jusqu’à tes cheveux couleur paille, 8
« Que d’autres traitent de fadeurs, 8
35 « Et tes moustaches en broussaille, 8
« J’adorais jusqu’à tes laideurs. 8
« Lèvre à lèvre, mon bras qui tremble 8
« Serré sur tes reins vigoureux, 8
« Nous aurions pu connaître ensemble 8
40 « Des jours si savamment heureux. 8
« Mais c’était un caprice, un songe, 8
« Puisque le hasard décevant 8
« N’a pas fait grâce d’un mensonge 8
« Et que vous êtes un savant. 8
45 « — Mais aussi, quelle balourdise, 8
Dit-elle en fermant ses yeux verts 8
Encor mouillés de gourmandise, 8
« Vous m’avez apporté des vers. » 8
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