Métrique en Ligne
LOR_3/LOR156
Jean LORRAIN
MODERNITÉS
1885
MODERNISANTES
RAFFINÉE
Un beau soir, à Luchon, la grande tragédienne 12
Eut ce caprice étrange et digne assurément 12
D’une reine, d’offrir à quelqu’obscur amant 12
De la rue une fête adorable et païenne. 12
5 « Je veux qu’un homme, un rustre, à jamais se souvienne 12
« De l’odeur de ma peau, de mon enlacement… 12
« Et garde de ma chair un éternel tourment, 12
« Comme un mortel, aimé jadis d’une Olympienne. » 12
Dit-elle, et de sa main savante et raffinée, 12
10 La séance d’amour fut bientôt combinée. 12
Un guide, un Toulousain au front stupide et doux 12
Sous d’épais cheveux bruns, de noirs devenus roux 12
Au grand soleil, l’avait conduite l’avant-veille 12
Au Crabioul, un pic hautain, une merveille ; 12
15 Et la dame, au-dessus du gouffre en entonnoir, 12
Où le torrent d’enfer mugit, blanche fournaise 12
D’écume, avait dans l’air, odorant de mélèze 12
Et de pins, remarqué cette brute à l’œil noir. 12
Le guide au rendez-vous fut amené le soir. 12
20 Sous une lampe astrale à la clarté de braise, 12
Dans un boudoir obscur, la dame en japonaise, 12
Demi-nue attendait.
Dans l’ombre, un encensoir
Exhalait à ses pieds sa fumée en spirale, 12
Et la dame, entrevue à travers la vapeur 12
25 Comme une vierge au fond de quelque cathédrale, 12
Apparut au beau gars si svelte et si spectrale 12
Sous son rouge et son blanc, que, béant de stupeur, 12
Le rustre, dès le seuil, à l’entrée, eut un râle, 12
Et devant tant d’apprêt partit.
Il avait peur.
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