Métrique en Ligne
LOR_2/LOR94
Jean LORRAIN
LA FORÊT BLEUE
1883
LA FORÊT BLEUE
JARDIN D'HIVER
A ALPHONSE DAUDET
Ma vie, où des vols de colombes 8
Neigeaient autrefois dans l'azur, 8
Est un jardin rempli de tombes 8
Avec des hiboux sur son mur. 8
5 Les mornes oiseaux d'heure en heure 8
S'éveillent au fond des cyprès, 8
Et chacun d'eux ulule et pleure 8
Sur mes vœux devenus regrets. 8
Leur cri lugubre et monotone 8
10 Chante les précoces départs 8
De mes rêves, au vent d'automne 8
Qui tombent, tombent tous épars. 8
Leurs débris jonchent les allées 8
Et, sous le vieux porche jauni, 8
15 L'ennui des plaines désolées 8
Monte et s'enfonce à l'infini. 8
Sous le ciel rouge et la bise aigre, 8
Serré dans un mince habit noir, 8
Un petit vieux, propret et maigre, 8
20 Y vient parfois rôder le soir. 8
Baisant de ses lèvres dévotes 8
Une grêle flûte en tuya, 8
Il fait succéder aux gavottes 8
Des vieux refrains d'alleluïa. 8
25 Au pied du mur qui se lézarde 8
Le vieux chantonne, et les hiboux, 8
Hérissant leur plume hagarde, 8
Ferment lentement leurs yeux roux. 8
Sous les grands traits d'ocre et d'orange 8
30 Des crépuscules jaunissants 8
Le vieux joue, et sa flûte étrange 8
Endort les hiboux gémissants. 8
Le vieux danse, et des violettes 8
Percent sous son pied leste et sec, 8
35 Et sous les vieux arbres squelettes 8
Répondent des sons de rebec ; 8
Car ce vieillard est ma jeunesse 8
Et les chers amours d'autrefois, 8
Attendant que mon cœur renaisse, 8
40 Chantent dans son flûtet de bois. 8
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