Métrique en Ligne
LOR_2/LOR89
Jean LORRAIN
LA FORÊT BLEUE
1883
LA FORÊT BLEUE
CHANSON DE MINUIT
A VICTOR HUGO
Il est minuit ; dans la clairière, 8
Où dorment les nids de pinsons, 8
La lune en grands ronds de lumière 8
Valse et frémit sur les gazons. 8
5 Prends garde, ô bohème qui passe, 8
Chantant dans l'ombre à pleine voix. 8
Libre, joyeux, ivre d'espace 8
Et buvant aux sources des bois. 8
La nuit, sous la lune sereine 8
10 Qui blanchit le bord du chemin, 8
Évite à grands pas la fontaine, 8
Où tu bois au creux de ta main. 8
Attentive aux bruits de la route, 8
Où résonne et rit ta chanson, 8
15 Sais-tu qu'une blancheur t'écoute 8
Dans l'ombre noire du buisson ? 8
Il est minuit ; le clair de lune 8
Conte son rêve aux vieux manoirs, 8
La source est fée, et la nuit brune 8
20 S'éveille au pied des sapins noirs. 8
Les yeux agrandis, dans l'attente 8
Du beau garçon qui va passer 8
La Willis est là palpitante 8
Au coin du bois, prête à valser. 8
25 A travers l'azur de ses. voiles 8
La splendeur de sa nudité 8
S'est trahie aux yeux des étoiles, 8
Rôdant par le ciel argenté. 8
Les étoiles, ces indiscrètes, 8
30 L'ont dit aux églantiers fleuris, 8
Les roses des bois aux fauvettes 8
Et la fauvette aux zingaris. 8
Il est minuit ; dans les feuillages 8
Les feux follets dansent en rond. 8
35 La peur ouvre ses yeux sauvages, 8
La nuit ouvre son œil profond. 8
Chaque fontaine a son cadavre 8
Endormi sous les nénuphars ; 8
Toutes les nuits, spectre qui navre, 8
40 Le noyé remonte au regards. 8
Ces corps, nageant à la surface 8
De l'eau, sont bleus, gonflés, hideux… 8
Le zingari sait qu'une place 8
L'attend un soir au milieu d'eux ; 8
45 Et, fuyant à grands pas la source, 8
Où le feu follet tremble et luit, 8
Le zingari poursuit sa course 8
Loin des bois, où règne minuit. 8
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