Métrique en Ligne
LOR_2/LOR106
Jean LORRAIN
LA FORÊT BLEUE
1883
LA FORÊT BLEUE
LA HALTE
HYMNE DU SOIR
A PAUL DE SAINT-VICTOR
Diane, ô pâle chasseresse, 8
Le soir, à l'heure où tout s'endort, 8
Que fais-tu, rêveuse déesse, 8
Les bras croisés sur ton arc d'or ? 8
5 Le soir, au clair miroir des sources, 8
Où tes nymphes, les bras sanglants, 8
Mènent baigner, après leurs courses, 8
Tes meutes de lévriers blancs. 8
Que fais-tu de ton cor d'ivoire, 8
10 Déesse, et de ton bleu carquois, 8
A l'heure, où les lions vont boire, 8
Aux étangs sacrés dans les bois ? 8
L'heure est charmante et solennelle. 8
Une odeur de fauve est dans l'air, 8
15 Le tigre rôde et sa prunelle 8
Met dans l'eau noire un pâle éclair. 8
Sa voix se traîne rauque et lente… 8
Tous les instincts des antres sourds 8
Sont là, rampant dans l'ombre ardente, 8
20 Où craquent des pas de velours. 8
Des biches râlent égorgées 8
Dans l'ombre, et, sous les nénuphars, 8
On voit boire à lentes gorgées 8
Des loups avec des léopards. 8
25 Et toi, les bras croisés, farouche, 8
Tu souris au creux du ravin, 8
Déesse, et les coins de ta bouche 8
S'ouvrent, pleins d'un mépris divin. 8
Les yeux fixés sur tes molosses, 8
30 Tu songes aux chiens d'Actéon, 8
Dépeçant sous leurs crocs féroces 8
Un cadavre informe et sans nom. 8
Sous tes paupières abaissées 8
Des corps meurtris d'adolescents, 8
35 Les mains de flèches transpercées, 8
Montent dans un flot bleu d'encens : 8
C'est Callisto, vivante encore, 8
Livrée aux fureurs d'Adonis, 8
Céphale expirant à l'aurore 8
40 Sur le corps neigeux de Procris ; 8
Dans un cirque ouvert de collines 8
Les héros, fils de Niobés, 8
Sous un ciel noir de javelines 8
Mourant comme des dieux tombés ; 8
45 La peste noire au murs de Thébes , 8
Œdipe errant dans la rougeur 8
Des soirs et la mort des éphèbes 8
Sous les traits d'Apollon vengeur. 8
Non, ton rêve est plus loin encore. 8
50 Il est là-bas, dans les hauteurs, 8
Sur le plateau calme et sonore, 8
Où sont les tentes des pasteurs. 8
Comme un aigle errant sur les cimes, 8
Ta pensée au sommet connu 8
55 Voltige au dessus des abîmes 8
Et caresse un beau pâtre nu. 8
Diane aime un gardeur de chèvres ; 8
Un pâtre-roi du Pélion 8
Te retient, déesse, à ses lèvres 8
60 Et ton rêve est Endymion. 8
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