Métrique en Ligne
LOR_1/LOR37
Jean LORRAIN
LE SANG DES DIEUX
1882
II
PARFUMS ANCIENS
CAPRICE
II
A SULLY-PRUDHOMME
QUE ne vous ai-je rencontrée, 8
Ma chère âme, une année avant ! 8
Je vous eus sans doute adorée, 8
Vous que j'ai subie en rêvant. 8
5 Mais n'eussiez-vous aimé de même 8
Si mot j'avais eu cette ardeur ? 8
Non pas… nous fuyons qui nous aime. 8
Le charme était dans ma froideur. 8
A vos yeux l'ennui, cendre fine 8
10 De mon cœur à jamais désert, 8
Avait la candeur de l'hermine, 8
L'éclat neigeux d'un jour d'hiver. 8
O l'insulte froide, hautaine, 8
De la neige qui ne fond pas, 8
15 Celle de la cime lointaine 8
Restée inconnue à nos pas ! 8
Et vous étiez, pourtant, charmante, 8
S'il m'en souvient bien, ce jour-là. 8
Serrant les plis de votre mante 8
20 Sur vos yeux cernés un peu las. 8
Vous aviez l'air, dans les malines 8
De votre fraise, aux grands plis droits, 8
Sur vos pendants de perles fines, 8
D'un mignon du temps des Valois. 8
25 Je vous observais en silence 8
Mais, hélas ! votre air, votre voix, 8
Évoquaient une ressemblance : 8
La femme adorée autrefois ! 8
Comme vous sur la grève assise 8
30 Je la voyais ; dans vos yeux bleus 8
Revivait l'ironie exquise 8
De ses regards cherchant mes yeux. 8
Ses regards pleins de moqueries, 8
Dont l'éclair raillait mes amours, 8
35 Tout jusqu'aux fauves griseries 8
De ses noirs cheveux drus et lourds, 8
O le défi du flacon vide, 8
Dont le parfum pur et discret 8
Ne laisse à notre lèvre avide 8
40 Que désespoir et vain regret ! 8
O le divin et l'impossible ! 8
Voilà notre mal éternel. 8
Le but est plus loin que la cible, 8
Le rêve au delà du réel. 8
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