Métrique en Ligne
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Jean LORRAIN
LE SANG DES DIEUX
1882
II
PARFUMS ANCIENS
LE GRAND CHEMIN
A MA MÈRE
MATIN et soir à ma fenêtre 8
Assis, le menton dans la main, 8
Je vois tourner et disparaître 8
Au flanc des monts un grand chemin. 8
5 Sous le ciel de brume ou de braise, 8
Ou le couchant met sa rougeur, 8
Il monte et longe la falaise, 8
Suivi par mon regard songeur. 8
Comme un vieux ruban qu'on déroule 8
10 Il serpente et fuit. Où va-t-il ? 8
Loin des méchants, loin de la foule, 8
Est-ce au bonheur, est-ce à l'exil ? 8
Sa pente m'invite au voyage, 8
M'annonçant de meilleurs destins. 8
15 La route est la sœur du nuage, 8
Tous deux vont aux pays lointains. 8
Là bas c'est l'amour et les roses, 8
Le ciel plus bleu, les lys en fleurs, 8
Le ciel qu'aux Jours d'ennui moroses 8
20 Rêvent tes yeux noyés de pleurs. 8
Ici qui t'aime ? Hélas, personne. 8
Tous les tiens te sont étrangers 8
Et la voix de Mignon frissonne 8
Dans le parfum des orangers. 8
25 Mais, engourdi par le bien-être, 8
On dit ;« Pas aujourd'hui… demain ! » 8
Et l'on demeure à la fenêtre, 8
Assis devant le grand chemin. 8
Puis un jour la voix est plus forte. 8
30 Vite on part, et les yeux navrés, 8
On s'arrête au seuil de la porte : 8
Falaise et monts sont effondrés. 8
Le vieux chemin de la colline 8
S'est écroulé dans le brouillard. 8
35 Nos rêves sont une ruine 8
Et pour partir il est trop tard. 8
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