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Jean de LA FONTAINE
ŒUVRES DIVERSES II
1656-1696
LETTRES À DIVERS
XXX
A SON ALTESSE Mgr LE DUC DE VENDÔME
Prince vaillant, humain et sage, 8
Avouez-nous que l'assemblage 8
De ces trois bonnes qualités 8
Vaut mieux que trois principautés. 8
5 Force grands pensent d'autre sorte : 8
S'ils ont raison, je m'en rapporte ; 8
Mais je soutiens encore un point, 8
C'est que souvent ils ne l'ont point. 8
Sans traiter ici cette affaire, 8
10 Comment, seigneur, pouvez-vous faire ? 8
Vous plaignez les peuples du Rhin. 8
D'autre côté, le souverain 8
Et l'intérêt de votre gloire 8
Vous font courir à la victoire. 8
15 Vous n'aimez que guerre et combats, 8
Même au sang trouvez des appas. 8
Rarement voit-on, ce me semble, 8
Guerre et pitié loger ensemble. 8
Aurions-nous, des hôtes plus doux, 8
20 Si l'Allemagne entroit chez nous ? 8
J'aime mieux les Turcs en campagne 8
Que de voir nos vins de Champagne 8
Profanés par des Allemands. 8
Ces gens ont des hanaps trop grands ; 8
25 Notre nectar veut d'autres verres. 8
En un mot, gardez qu'en nos terres 8
Le chemin ne leur soit ouvert : 8
Ils nous pourroient prendre sans vert. 8
Prendre sans vert notre monarque ! 8
30 Les conducteurs de cette barque 8
Y perdroient bientôt leur latin. 8
Lorraine eut le nez bien plus fin. 8
Il faut se lever plus matin 8
Que ne font beaucoup de ces princes, 8
35 Pour pénétrer dans nos provinces 8
Je vois ces héros retournés 8
Chez eux avec un pied de nez, 8
Et le protecteur des rebelles 8
Le cul à terre entre deux selles ; 8
40 Et tout le parti protestant 8
Du saint-père en vain très-content. 8
J'ai là-dessus un conte à faire ; 8
L'autre jour, touchant cette affaire, 8
Le chevalier de Sillery, 8
45 En parlant de ce pape-ci, 8
Souhaitoit, pour la paix publique, 8
Qu'il se fût rendu catholique, 8
Et le roi Jacques huguenot. 8
Je trouve assez bon ce bon mot. 8
50 Louis a banni de la France 8
L'hérétique et très-sotte engeance. 8
Il tenta sans beaucoup d'effort 8
Un si grand dessein dans l'abord ; 8
Les esprits étoient plus dociles. 8
55 Notre roi voyant quelques villes 8
Sans peine à la foi se rangeant, 8
L'appétit lui vint en mangeant. 8
Les quolibets que je hasarde 8
Sentent un peu le corps de garde. 8
60 Ce style est bon en temps et lieu. 8
Une autre fois, moyennant Dieu, 8
Votre altesse me verra mettre 8
Du françois plus fin dans ma lettre. 8
Cependant d'un soin obligeant 8
65 L'abbé m'a promis quelque argent. 8
Amen ! et le. ciel le conserve ! 8
Apollon, ses chants, et sa verve, 8
Bacchus, et peut-être l'Amour, 8
L'occupent souvent tour à tour, 8
70 Sans compter l'hydre créancière. 8
Quelque jour ce sera matière 8
Pour lui donner, avec raison, 8
Autant de têtes qu'à Typhon. 8
Il veut accroître ma chevance. 8
75 Sur cet espoir, j'ai par avance 8
Quelques louis au vent jetés, 8
Dont je rends grâce à vos bontés. 8
Le reste ira sans point de faute 8
(Ou bien je compte sans mon hôte : 8
80 Le paillard m'a dit aujourd'hui 8
Qu'il faut que je compte avec lui, 8
Aimez-vous cette parenthèse ?), 8
Le reste ira, ne vous déplaise, 8
EN bas-relief ET CÆTERA. 8
85 Ce mot-ci s'interprétera 8
Des Jeannetons, car les Clymènes 8
Aux vieilles gens sont inhumaines. 8
Je ne vous réponds pas qu'encor 8
Je n'emploie un peu de votre or 8
90 A payer la brune et la blonde ; 8
Car tout peut aimer en ce monde. 8
Non que j'assemble tous les jours 8
Barbe fleurie et les Amours. 8
Même dans peu votre finance 8
95 Au sacrement de pénitence 8
A mon égard échappera. 8
Pour nouvelles de par-deçà, 8
Nous faisons au Temple merveilles. 8
L'autre jour on but vingt bouteilles ; 8
100 Régnier en fut l'architriclin. 8
La nuit étant sur son déclin, 8
Lorsque j'eus vidé mainte coupe, 8
Langeamet, aussi de la troupe, 8
Me ramena dans mon manoir. 8
105 Je lui donnai, non le bonsoir, 8
Mais le bonjour : la blonde Aurore, 8
En quittant le rivage maure, 8
Nous avoit à table trouvés, 8
Nos verres nets et bien lavés, 8
110 Mais nos yeux étant un peu troubles, 8
Sans pourtant voir les objets doubles. 8
Jusqu'au point du jour on chanta, 8
On but, on rit, on disputa, 8
On raisonna sur les nouvelles ; 8
115 Chacun en dit, et des plus belles. 8
Le grand prieur eut plus d'esprit 8
Qu'aucun de nous sans contredit. 8
J'admirai son sens ; il fit rage ; 8
Mais, malgré tout son beau langage 8
120 Qu'on étoit ravi d'écouter, 8
Nul ne s'abstint de contester. 8
Je dois tout respect aux Vendômes ; 8
Mais j'irois en d'autres royaumes, 8
S'il leur falloit en ce moment 8
125 Céder un ciron seulement. 8
Je finis ; et je vous souhaite 8
Une victoire très-complète, 8
Chance à tous jeux, de la santé, 8
Non pas pour une éternité : 8
130 Je suis en mes vœux plus modeste ; 8
Pourvu que la bonté céleste, 8
A vous, au grand prieur, à moi, 8
Donne cent ans de bon aloi, 8
Je serai content du partage. 8
135 Vous en méritez davantage ; 8
Mais la raison d'un si beau lot 8
Ne se dit pas toute en un mot. 8
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