LETTRES À DIVERS |
XXIII |
A M. DE SAINT-ÉVREMOND |
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Ni vos leçons, ni celles des neuf Sœurs, |
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N'ont su charmer la douleur qui m'accable. |
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Je souffre un mal qui résiste aux douceurs, |
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Et ne saurois rien penser d'agréable, |
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Tout rhumatisme, invention du diable, |
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Rend impotent et de corps et d'esprit. |
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Il m'a fallu, pour forger cet écrit, |
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Aller dormir sur la tombe d'Orphée ; |
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Mais je dors moins que ne fait un proscrit, |
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Moi dont l'Orphée étoit le dieu Morphée. |
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Si me faut-il répondre à vos beaux vers, |
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A votre prose et galante et polie. |
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Deux déités, par leurs charmes divers, |
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Ont d'agréments votre lettre remplie. |
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Si celle-ci n'est autant accomplie, |
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Nul ne s'en doit étonner a mon sens : |
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Le mal me tient, Hortense vous amuse. |
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Cette déesse, outre tous vos talents, |
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Vous est encore une dixième muse : |
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Les neuf m'ont dit adieu jusqu'au printemps. |
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L'éloge qui vient de vous |
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Est glorieux et bien doux. |
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Tout le monde vous propose |
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Pour modèle aux bons auteurs. |
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Vos beaux ouvrages sont cause |
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Que j'ai su plaire aux neuf Sœurs |
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Cause en partie et non toute ; |
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Car vous voulez bien sans doute |
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Que j'y joigne les écrits |
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D'aucuns de nos beaux esprits. |
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J'ai profité dans Voiture ; |
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Et Marot par sa lecture |
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M'a fort aidé, j'en conviens. |
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Je ne sais qui fut son maître : |
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Que ce soit qui ce peut être, |
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Vous êtes tous trois les miens. |
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Vous possédez cette science ; |
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Vos jugements en sont les règles et les lois : |
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Outre certains écrits que j'adore en silence, |
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Comme vous adorez Hortense et les deux rois. |
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Que vous dirai-je davantage ? |
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Hortense eut du ciel en partage |
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La grace, la beauté, l'esprit : ce n'est pas tout ; |
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Les qualités du cœur : ce n'est pas tout encore ; |
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Pour mille autres appas le monde entier l'adore, |
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Depuis l'un jusqu'à l'autre bout. |
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L'Angleterre en ce point le dispute à la France : |
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Votre héroïne rend nos deux peuples rivaux. |
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O vous, le chef de ses dévots, |
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De ses dévots à toute outrance, |
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Faites-nous l'éloge d'Hortense ! |
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Je pourrois en charger le dieu du double mont ; |
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Mais j'aime mieux Saint-Évremond. |
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Au passage d'un pont, ou sur le bord d'un bois, |
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Nos hérauts publieront ce ban à haute voix ; |
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MARIANNE SANS PAIR, HORTENSE SANS SECONDE, |
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VEULENT LES CŒURS DE TOUT LE MONDE. |
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Si vous en êtes cru, le parti le plus fort |
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Penchera du côté d'Hortense ; |
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Si l'on m'en croit aussi, Marianne d'abord |
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Doit faire incliner la balance. |
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Hortense ou Marianne, il faut y venir tous ; |
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Je n'en sais point de si profane |
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Qui, d'Hortense évitant les coups, |
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Ne cède à ceux de Marianne. |
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Il nous faudra prier monsieur l'ambassadeur |
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Que, sans égard à notre ardeur, |
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Il fasse le partage, à moins que des deux belles |
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Il ne puisse accorder les droits, |
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Lui dont l'esprit foisonne en adresses nouvelles |
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Pour accorder ceux de deux rois. |
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Rien ne m'eût fait souffrir, et je crains toute chose ; |
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En ce point seulement je ressemble à l'Amour. |
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Vous savez qu'à sa mère il se plaignit un jour |
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Du pli d'une feuille de rose ; |
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Ce pli l'avoit blessé. Par quels cris forcenés |
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Auroit-il exprimé sa plainte, |
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Si de mon rhumatisme il eût senti l'atteinte ? |
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Il eût été puni de ceux qu'il a donnés. |
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Les beaux-esprits, les sages, les amants, |
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Sont en débat dans les Champs-Élysées ; |
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Ils veulent tous en leurs départements |
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Waller pour hôte, ombre de mœurs aisées. |
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Pluton leur dit : — J'ai vos raisons pesées ; |
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Cet homme sut en quatre arts exceller : |
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Amour et vers, sagesse et beau-parler. |
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Lequel d'eux tous l'aura dans son domaine ? — |
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Sire Pluton vous voilà bien en peine. |
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S'il possédoit ces quatre arts en effet, |
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Celui d'amour, c'est chose toute claire, |
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Doit l'emporter ; car, quand il est parfait, |
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C'est un métier qui les autres fait faire. |
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Rien ne m'engage à faire un livre ; |
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Mais la raison m'oblige à vivre |
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En sage citoyen de ce vaste univers ; |
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Citoyen qui, voyant un monde si divers, |
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Rend à son auteur les hommages |
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Que méritent de tels ouvrages. |
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Ce devoir acquitté, les beaux vers, les doux sons, |
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Il est vrai, sont peu nécessaires ; |
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Mais qui dira qu'ils soient contraires |
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A ces éternelles leçons ? |
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On peut goûter la joie en diverses façons ; |
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Au sein de ses amis répandre mille choses, |
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Et, recherchant de tout les effets et les causes, |
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A table, au bord d'un bois, le long d'un clair ruisseau, |
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Raisonner avec eux sur le bon, sur le beau, |
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Pourvu que ce dernier se traite à la légère, |
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Et que la nymphe ou la bergère |
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N'occupe notre esprit et nos yeux qu'en passant. |
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Le chemin du cœur est glissant : |
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Sage Saint-Évremond, le mieux est de m'en taire, |
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Et surtout n'être plus chroniqueur de Cythère, |
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Logeant dans mes vers les Chloris, |
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Quand on les chasse de Paris. |
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On va faire embarquer ces belles ; |
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Elles s'en vont peupler l'Amérique d'Amours. |
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Que maint auteur puisse avec elles |
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Passer la Ligne pour toujours ! |
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Ce seroit un heureux passage. |
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Ah ! si tu les suivois, tourment qu'à mes vieux jours |
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L'hiver de nos climats promet pour apanage ! |
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Crois-moi, triste tourment, consens à notre adieu ; |
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En ma faveur change de lieu. |
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Déloge enfin, ou dis que tu veux être cause |
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Que mes vers comme toi deviennent malplaisants. |
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S'il ne tient qu'à ce point, bientôt l'effort des ans |
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Fera sans ton secours cette métamorphose ; |
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De bonne heure il faudra s'y résoudre sans toi. |
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Sage Saint-Évremond, vous vous moquez de moi : |
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De bonne heure ! est-ce un mot qui me convienne encore, |
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A moi qui tant de fois ai vu naître l'aurore, |
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Et de qui les soleils se vont précipitant |
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Vers le moment fatal que je vois qui m'attend ? |
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