LETTRES À DIVERS |
XXII |
A MADAME LA DUCHESSE DE BOUILLON |
[Paris — Novembre 1687]
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Moins d'Amours, de Ris et de Jeux, |
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Cortége de Vénus, sollicitoient pour elle, |
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Dans ce différend si fameux |
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Où l'on déclara la plus belle |
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La déesse des agréments. |
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Celle aux yeux bleus, celle aux bras blancs, |
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Furent au tribunal par Mercure conduites. |
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Chacune étala ses talents. |
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Si le même débat renaissoit en nos temps, |
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Le procès auroit d'autres suites, |
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Et vous, et votre sœur, emporteriez le prix |
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Sur les clientes de Paris. |
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Tous les citoyens d'Amathonte |
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Auroient beau parler pour Cypris ; |
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Car vous avez, selon mon compte, |
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Plus d'Amours, de Jeux et de Ris. |
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Vous excellez en mille choses ; |
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Vous portez en tous lieux la joie et les plaisirs : |
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Allez en des climats inconnus aux zéphyrs, |
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Les champs se vêtiront de roses. |
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Mais, comme aucun bonheur n'est constant dans son cours, |
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Quelques noirs aquilons troublent de six beaux jours. |
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C'est là que vous savez témoigner du courage : |
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Vous envoyez aux vents ce fâcheux souvenir. |
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Vous avez cent secrets pour combattre l'orage : |
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Que n'en aviez-vous un qui le sût prévenir ? |
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Nul auteur de renom n'est ignoré de vous ; |
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L'accès leur est permis à tous. |
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Pendant qu'on lit leurs vers, vos chiens ont beau se battre ; |
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Vous mettez les holas en écoutant l'auteur. |
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Vous égalez ce dictateur |
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Qui dictoit tout d'un temps à quatre. |
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Vous savez dispenser à propos votre estime ; |
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Le pathétique, le sublime, |
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Le sérieux et le plaisant, |
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Tour à tour vous vont amusant, |
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Tout vous duit, l'histoire et la fable, |
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Prose et vers, latin et françois. |
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Par Jupiter ! je ne connois |
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Rien pour nous de si favorable. |
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Parmi ceux qu'admet à sa cour |
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Celle qui des Anglois embellit le séjour, |
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Partageant avec vous tout l'empire d'Amour, |
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Anacréon et les gens de sa sorte, |
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Comme Waller, Saint-Évremond et moi, |
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Ne se feront jamais fermer la porte. |
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Qui n'admettroit Anacréon chez soi ? |
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Qui banniroit Waller et La Fontaine ? |
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Tous deux sont vieux, Saint-Évremond aussi ; |
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Mais verrez-vous aux bords de l'Hippocrène |
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Gens moins ridés dans leurs vers que ceux-ci ? |
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Le mal est que l'on veut ici |
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De plus sévères moralistes. |
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Anacréon s'y tait devant les jansénistes. |
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Encor que leurs leçons me semblent un peu tristes, |
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Vous devez priser ces auteurs |
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Pleins d'esprit et bons disputeurs. |
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Vous en savez goûter de plus d'une manière : |
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Les Sophocles du temps et l'illustre Molière |
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Vous donnent toujours lieu d'agiter quelque point. |
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Sur quoi ne disputez-vous point ? |
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Il nous feroit beau voir parmi de jeunes gens |
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Inspirer le plaisir, danser et nous ébattre |
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Et, de fleurs couronnés ainsi que le printemps, |
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Faire trois cents ans à nous quatre. |
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Ce n'est pas un vain fantôme |
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Que la gloire et la grandeur ; |
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Et Stuart en son royaume |
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Y court avec plus d'ardeur |
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Qu'un amant à sa maîtresse. |
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Ennemi de la mollesse, |
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Il gouverne son état |
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En habile potentat. |
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De cette haute science |
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L'original est en France : |
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Jamais on n'a vu de roi |
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Qui sût mieux se rendre maître, |
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Fort souvent jusques à l'être |
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Encore ailleurs que chez soi. |
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L'art est beau, mais toutes têtes |
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N'ont pas droit de l'exercer : |
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Louis a su s'y tracer |
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Un chemin par ses conquêtes. |
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On trouvera ses leçons |
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Chez ceux qui feront l'histoire : |
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J'en laisse à d'autres la gloire, |
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Et reviens à mes moutons. |
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Vous vous aimez en sœurs : cependant j'ai raison |
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D'éviter la comparaison, |
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L'or se peut partager, mais non pas la louange. |
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Le plus grand orateur, quand ce seroit un ange, |
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Ne contenteroit pas, en semblables desseins, |
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Deux belles, deux héros, deux auteurs, ni deux saints. |
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