MÉTRIQUE EN LIGNE

LFT_4/LFT471

Jean de LA FONTAINE

ŒUVRES DIVERSES II

1656-1696

LETTRES À DIVERS

A M. FOUQUET

RELATION DE L'ENTRÉE DE LA REINE DANS PARIS,

LE 26 AOUT 1660

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

	De toutes parts on y vit	7
	Une nombreuse affluence,	7
	Et je crois qu'elle se fit	7
	Aux yeux de toute la France.	7
5	Ce jour-là le soleil fut assez matineux ;	12
	Mais, pour mieux laisser voir ce pompeux équipage,	12
	Il tempéra son éclat lumineux,	10
	En quoi je tiens qu'il fut sage :	7

	Car, quand il eût eu des habits	8
10	Tout parsemés de rubis,	7
	Et couverts des trésors du Pactole et du Tage,	12
	Qu'il eût paru plus beau qu'il n'est au plus beau jour,	12
	Le moins brillant des seigneurs de sa cour	10
	Eût brillé cent fois davantage.	8

15	La cour ne se mit pas seule sur le bon bout,	12
	Et le luxe passa jusqu'à la bourgeoisie.	12
	Chacun fit de son mieux : ce n'étoit qu'or partout :	12
	Vous n'avez vu de votre vie	8
	Une si belle infanterie ;	8
20	On eût dit qu'ils sortoient tous de chez le baigneur :	12
	Imaginez-vous, monseigneur,	8
	Dix mille hommes en broderie.	8

	Ce fut un bel objet que messieurs du conseil :	12
	Aussi leurs majestés s'en tiennent honorées ;	12
25	On n'en peut trop louer le pompeux appareil ;	12
	Leur troupe étoit des mieux parées.	8
	Tout le monde admira leurs superbes atours,	12
	Leurs cordons d'or, leurs housses de velours	10
	Et leurs différentes livrées.	8
30	Leur chef, vêtu de brocart d'or	8
	Depuis les pieds jusqu'à la tête,	8
	Ce jour-là parut un Médor,	8
	Et fut un des beaux de la fête.	8
	Je ne puis assez dignement	8
35	Louer le riche accoutrement	8
	Qui le para cette journée ;	8
	Ni le coffret des sceaux, que portoit fièrement	12
	La chancelière haquenée,	8
	Nommée ainsi très-justement.	8
40	De vouloir peindre aussi les trois cours souveraines,	12
	Et leur auguste majesté,	8
	Ma muse n'y perdroit que son temps et ses peines ;	12
	C'est un sujet trop vaste et trop peu limité.	12
	Messieurs de ville eurent en vérité	10
45	Bonne part de l'honneur en cette illustre fête.	12
	Je trouvai surtout bien monté	8
	Celui qui marchoit à la tête	8
	Il n'est pas jusqu'à Rocollet	8
	Qui ne fût sur sa bonne mine :	8
50	Son cheval qui n'étoit pas laid,	8
	Et sembloit de taille assez fine,	8
	Lui secouoit un peu l'échine,	8
	Et pensa mettre en désarroi	8
	Ce brave serviteur du roi.	8
55	Si je m'étois trouvé plus près	8
	Des harangueurs et des harangues,	8
	Vous auriez en vers quelques traits	8
	De ce qu'ont dit ces doctes langues :	8
	Sans mentir, j'ai beaucoup perdu	8
60	De n'en avoir rien entendu :	8
	Car, en fait de magnificence,	8
	Les compliments sur les habits	8
	L'ont emporté, comme je pense ;	8
	Mais tout cela n'est rien au prix	8
65	Des mulets de Son Éminence.	8
	Leur attirail doit avoir coûté cher.	10
	Ils se suivoient en file ainsi que patenôtres :	12
	On en voyoit d'abord vingt et quatre marcher,	12
	Puis autres vingt et quatre, et puis vingt et quatre autres.	12
70	Les housses des premiers étoient d'un fort grand prix ;	12
	Les seconds les passoient, passés par les troisièmes ;	12
	Mais ceux-ci n'ont, à mon avis,	8
	Rien laissé pour les quatrièmes.	8
	Monsieur le cardinal l'entend, en bonne foi ;	12
75	Car après ces mulets marchoient quinze attelages,	12
	Puis sa maison, et puis ses pages,	8
	Se panadant en bel arroi,	8
	Montés sur chevaux aussi sages	8
	Que pas un d'eux, comme je croi.	8
80	Figurez-vous que dans la France	8
	Il n'en est point de plus haut prix ;	8
	Que l'un bondit, que l'autre danse,	8
	Et que cela n'est rien au prix	8
	Des mulets de Son Éminence.	8
85	Bientôt après les seigneurs de la cour,	10
	Propres, dorés, et beaux comme des anges,	10
	Ou comme le dieu d'amour,	7
	Attirèrent nos louanges :	7
	J'entends le dieu d'Amour, quand il tient du dieu Mars,	12
90	Et qu'il marche tout fier du pouvoir de ses dards ;	12
	Car ces seigneurs, qui sont près d'une belle	10
	Aussi doux que des moutons,	7
	Sont pires que vrais lions	7
	Quant ils ont une querelle,	7
95	Ou que le bruit des canons	7
	Leur échauffe la cervelle.	7
	En habits sous l'or tout cachés,	8
	En chevaux bien enharnachés,	8
	Ils avoient fait grosse dépense	8
100	Et quand à moi je fus surpris	8
	De voir une telle abondance,	8
	Et n'estimai plus rien au prix	8
	Les mulets de Son Éminence.	8
	Incontinent on vit passer	8
105	Des légions de mousquetaires.	8
	C'est un bel endroit à tracer ;	8
	Mais, sans que je m'attire un tel nombre d'affaires,	12
	Leur maître n'a que trop de quoi m'embarrasser.	12
	Vous le voyez quelquefois :	7
110	Croyez-vous que le monde ait eu beaucoup de rois,	12
	Ou de taille aussi belle, ou de mine aussi bonne ?	12
	Ce n'est pas mon avis ; et lorsque je le vois,	12
	Je crois voir la grandeur elle-même en personne.	12

	Comme jadis le monarque des cieux	10
115	Dans le ciel fit son entrée,	7
	Après avoir puni l'orgueil audacieux	12
	Des suppôts de Briarée ;	6
	Ou bien comme Apollon, des traits de son carquois	12
	Ayant du fier Python percé l'énorme masse,	12
120	Triompha sur le Parnasse ;	7
	Ou comme Mars entra pour la première fois	12
	Dans la capitale de Thrace ;	8
	Ainsi je crois encor voir le prince qui passe ;	12
	Et vous pouvez choisir de ces trois-là	10
125	Celui qu'il vous plaira.	6
	Mais comment de ces vers sortir à mon honneur ?	12
	Ceci de plus en plus m'embarrasse et m'empêche ;	12
	Et de fièvre en chaud mal me voici, monseigneur,	12
	Enfin tombé sur la calèche.	8
130	On dit qu'elle étoit d'or, et sembloit d'or massif,	12
	Et qu'il s'en fait peu de pareilles ;	8
	Mais je ne la pus voir, tant j'étois attentif	12
	A regarder d'autres merveilles.	8
	Ces merveilles étoient de fort beaux cheveux blonds,	12
135	Une vive blancheur, les plus beaux yeux du monde,	12
	Et d'autres appas sans seconds	8
	D'une personne sans seconde.	8
	Qu'on ne me demande pas	7
	Qui c'étoit que la personne	7
140	En qui logeoient tant d'appas :	7
	La question seroit bonne !	7
	Tant d'agrément, tant de beauté,	8
	Tant de douceur, et tant de majesté,	10
	Tant de graces si naturelles,	8
145	Où l'on trouveroit de quoi	7
	Faire un million de belles,	7
	Ne peuvent en bonne foi	7
	Se trouver qu'en la merveille	7
	Sans égale, et sans pareille,	7
150	Qui donne aux autres la loi,	7
	Et qui dort avec le roi.	7