Métrique en Ligne
LFT_4/LFT456
Jean de LA FONTAINE
ŒUVRES DIVERSES II
1656-1696
ÉPITRES
XXI
À S. A. S. Mgr LE PRINCE DE CONTI
Pleurez-vous aux lieux où vous êtes ? 8
La douleur vous suit-elle au fond de leurs retraites ? 12
Ne pouvez-vous lui résister ? 8
Dois-je enfin, rompant le silence, 8
5 Ou la combattre, ou la flatter, 8
Pour adoucir sa violence ? 8
Le dieu de l'Oise est sur ses bords, 8
Qui prend part à votre souffrance ; 8
Il voudrait les orner par de nouveaux trésors, 12
10 Pour honorer votre présence. 8
Si j'avois assez d'éloquence, 8
Je dirois qu'aujourd'hui tout y doit rire aux yeux. 12
Je ne le dirois pas : rien ne rit sous les cieux 12
Depuis le moment odieux 8
15 Qui vous ravit un frère aimé d'amour extrême. 12
Ce moment, pour en parler mieux, 8
Vous ravit dès lors à vous-même. 8
Conti dès l'abord nous fit voir 8
Une âme aussi grande que belle. 8
20 Le ciel y mit tout son savoir, 8
Puis vous forma sur ce modèle. 8
Digne du même encens que les dieux ont là-haut, 12
Vous attiriez des cœurs l'universel hommage ; 12
L'un et l'autre servoit d'exemplaire et d'image : 12
25 Vous aviez tous deux ce qu'il faut 8
Pour être un parfait assemblage. 8
Je n'y trouvois qu'un seul défaut, 8
C'étoit d'avoir trop de courage. 8
Par cet excès on peut pécher : 8
30 Conti méprisa trop la vie. 8
À travers le péril pourquoi toujours chercher 12
Les noms dont après lui sa mémoire est suivie ? 12
Ces noms, qu'alors aucun n'envie, 8
N'ont rien là-bas de consolant : 8
35 Achille en est un témoignage. 8
Il eut un désir violent 8
De faire honneur à son lignage ; 8
Il souhaita d'avoir un temple et des autels : 12
Homère en ses vers immortels 8
40 Le lui bâtit. Sa propre gloire 8
Y dure aussi dans la mémoire 8
Des habitants de l'univers. 8
Cependant Achille, aux enfers, 8
Prise moins l'honneur de ce temple 8
45 Que la cabane d'un berger. 8
Profitez-en : c'est un exemple 8
Qui mérite bien d'y songer. 8
Songez-y donc, seigneur ; examinez la chose, 12
D'autant plus qu'on ne peut y faillir qu'une fois : 12
50 L'Achéron ne rend rien. Si nos pleurs étoient cause 12
Qu'il révoquât ses tristes lois, 8
Nous reverrions Conti ; mais ni le sang des rois, 12
Ni la grandeur, ni la vaillance, 8
Ne font changer du Sort la fatale ordonnance 12
55 Qui rend sourd à nos cris le noir tyran des morts. 12
Ne vous fiez point aux accords 8
D'un autre Orphée : a-t-il lui-même 8
Rien gagné sur la Parque blême ? 8
Il obtint en vain ses amours. 8
60 Tous deux a voient du Styx repassé les contours : 12
Il vit redescendre Eurydice. 8
Il protesta de l'injustice ; 8
Il implora l'Olympe, et neuf jours et neuf nuits 12
Importuna de ses ennuis 8
65 Les échos des rivages sombres. 8
Quand j'irois, comme lui, redemander aux ombres 12
Les Contis, princes belliqueux, 8
On me diroit que le Cocyte 8
Ne considère aucun mérite : 8
70 Je ne reviendras non plus qu'eux. 8
Je ne vous dis ici que ce qu'a dit Voiture. 12
L'ami de Mécénas, Horace, dans ses sons 12
L'avoit dit devant lui ; devant eux la nature 12
L'avoit fait dire en cent façons. 8
75 Les neufs Sœurs et leurs nourrissons 8
Depuis long-temps, en leurs chansons, 8
Répètent que l'on voit recommencer l'année, 12
Et que jamais la destinée 8
Ne permit aux humains le retour en ces lieux. 12
80 Conservez donc, seigneur, des jours si précieux ; 12
Que le temps sèche au moins vos larmes : 8
Celui que vous pleurez, loin d'y trouver des charmes, 12
En goûte un bonheur moins parfait. 8
Je crains que les raisons ne soient de peu d'effet 12
85 Dans la douleur qui vous possède ; 8
Mais le temps n'aura-t-il pour vous seul nul remède ? 12
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