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LFT_4/LFT455
Jean de LA FONTAINE
ŒUVRES DIVERSES II
1656-1696
ÉPITRES
XX
À Mgr LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU PARLEMENT
EN LUI DÉDIAIT DEUX VOLUMES INTITULÉS :
Ouvrages de prose et de poésie des sieurs de Maucroy
et de La Fontaine,
EN 1685
Harlay, favori de Trémis, 8
Agréez ce recueil, œuvre de deux amis ; 12
L'un a pour protecteur le démon du Parnasse. 12
L'autre de la tribune étale tous les traits : 12
5 Donnez-leur chez vous quelque place. 8
Qui les distingue pour jamais. 8
Ils vous présentent leur ouvrage ; 8
Je me suis chargé de l'hommage ; 8
Iris m'en a l'ordre prescrit. 8
10 Voici ses propres mots, si j'ai bonne mémoire : 12
Acante, le public à vos vers applaudit : 12
C'est quelque chose ; mais la gloire 8
Ne compte pas toujours les voix ; 8
Elle les pèse quelquefois. 8
15 Ayez celle d'Harlay, lui seul est un théâtre. 12
Veuillent Phébus et Jupiter 8
Qu'il trouve en vous un peu de l'air 8
Des anciens qu'il idolâtre ! 7
Vous pourrez en passant louer, m'a-t-elle dit, 12
20 La finesse de son esprit 8
Et la sagesse de son âme ; 8
Mais en passant, je vous le dis. 8
Cette Iris, Harlay, c'est la dame 8
À qui j'ai deux temples bâtis, 8
25 L'un dans mon cœur, l'autre en mon livre. 8
Puisse le dernier assez vivre 8
Pour mériter que l'univers 8
Dise un jour, en voyant mes vers : 8
Cette œuvre est de belle structure ! 8
30 Qu'en pensoit Harlay ? car on sait 8
Que l'art, aidé de la nature, 8
Avoit rendu son goût parfait. 8
J'aurois ici lieu de m'étendre ; 8
Mais que serviroit-il ? vous vous armez le cœur 12
35 Contre tous les appas d'un propos enchanteur : 12
L'éloge qui pourroit par ses traits vous surprendre 12
Seroit d'un habile orateur. 8
Cicéron, Platon, Démosthène, 8
Ornements de Rome et d'Athène, 8
40 N'en viendroient pas à bout. Platon par ses douceurs 12
Vous pourroit amuser un moment, je l'avoue ; 12
C'est le plus grand des amuseurs. 8
Que Cicéron blâme ou qu'il loue, 8
C'est le plus disert des parleurs. 8
45 L'ennemi de Philippe est semblable au tonnerre ; 12
Il frappe, il surprend, il atterre ; 8
Cet homme et la raison, à mon sens, ne sont qu'un. 12
Vous avez avec lui ce point-là de commun. 12
Le privilége est beau, d'autant plus qu'il est rare : 12
50 Pendant qu'un peuple entier de la raison s'égare, 12
Cette fille du ciel ne bouge de chez vous ; 12
Elle y plaça son temple avec sa sœur Astrée : 12
La crainte et le respect ont forgé les verrous 12
De cette demeure sacrée. 8
55 Non qu'on n'y puisse entrer ainsi que chez les dieux : 12
Au moindre des mortels la porte en est ouverte ; 12
Nos vœux y sont ouïs, notre plainte soufferte : 12
L'équité sort toujours contente de ces lieux. 12
Que si la passion où l'intérêt nous plonge 12
60 Fait que quelque client y mène le mensonge, 12
Le mensonge n'y peut imposer à vos yeux, 12
De quelque adresse qu'il se pique. 8
Souffrez ces vérités ; et dans vos soins divers 12
Quittez un peu la république 8
65 Pour notre prose et pour nos vers. 8
Ce n'est pas assez, monseigneur, de vous dédier en vers les derniers fruits de nos veilles. Comme il y a un volume sans poésies (et c'est le plus digne de vous être offert), j'ai cru que je vous devois confirmer ces hommages en une langue qui lui convînt. Je vous offre donc encore une fois les traductions de mon ami, et au nom de leur auteur, et au mien : car je dispose de ce qui est à lui, comme s'il étoit à moi-même. Il ne s'agit pas ici seulement des suffrages que vous nous pouvez procurer à l'un et à l'autre, mais de ceux qu'on ne peut refuser sans injustice à des chefs- d'œuvre de l'antiquité. De la façon que le traducteur les a rendus, il vous sera facile d'y remarquer trois différents caractères, tous trois si beaux qu'en tout l'empire de l'élo- quence, lequel est d'une si grande étendue, il n'y en a point qu'on leur puisse comparer. Ils méritent également que l'on les admire ; et c'est ce qui me semble de merveilleux, quoi- qu'on sache que l'éloquence a trouvé le secret de plane sous mille formes. Le mot de plaire ne dit pas assez ; Pla- ton, Démosthène et Cicéron vont bien au delà ; ils enlè- veront toujours les esprits, bien que ces grands hommes n'aient pas chez nous les avantages qu'ils avoient en ces heureux siècles où ils ont vécu, et quoique peut-être le goût du nôtre soit différent. De déterminer précisément qui des trois le doit emporter, je ne le crois pas possible ; y a- t-il quelqu'un d'assez hardi pour juger entre eux de la pré- férence ? Vous protégerez, je n'en doute point, le travail de mon ami, en faveur de ces trois grands noms, et à cause de son mérite particulier. Je vous demande la même grâce pour mes ouvrages. Vous ne nous refuserez pas quelques moments d'application, après que vous aurez rempli vos devoirs pour les intérêts de Sa Majesté et de la justice. Jamais la dignité que vous exercez n'a été le commun lien de ces deux puissances avec plus d'utilité pour le public, ni plus de sujet de satisfaction pour le prince. Cette matière est si ample, et vous fuyez les éloges avec tant de soin, que je ne m'engageroi point dans le vôtre, et me conten- teroi de vous assurer que je suis, etc.
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