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Jean de LA FONTAINE
ŒUVRES DIVERSES II
1656-1696
ÉPITRES
VI
À SON ALTESSE SÉRÉNISSIME
MADAME LA PRINCESSE DE BAVIÈRE
Votre altesse sérénissime 8
A, dit-on, pour moi quelque estime, 8
Et veut que je lui mande en vers 8
Les affaires de l'univers ; 8
5 J'entends les affaires de France : 8
J'obéis et romps mon silence. 8
L'intérêt et l'ambition 8
Travaillent, à l'élection 8
Du monarque de la Pologne. 8
10 On croit ici que la besogne 8
Est avancée ; et les esprits 8
Font tantôt accorder le prix 8
Au Lorrain, puis au Moscovite, 8
Condé, Nieubourg ; car le mérite 8
15 De tous côtés fait embarras. 8
Condé, je crois, n'en manque pas. 8
Si votre époux vouloit, madame, 8
Régner ailleurs que sur votre âme, 8
On ne peut faire un meilleur choix. 8
20 Heureux qui vivrait sous ses lois ! 8
Ceux qui des affaires publiques 8
Parlent toujours en politiques, 8
Réglant ceci, jugeant cela, 8
(Et je suis de ce nombre-là) ; 8
25 Les raisonneurs, dis-je, prétendent 8
Qu'au Lorrain plusieurs princes tendent. 8
Quant à Moscou, nous l'excluons ; 8
Voici sur quoi nous nous fondons : 8
Le schisme y règne ; et puis son prince 8
30 Mettrait la Pologne en province. 8
Nieubourg nous accommoderait : 8
Au roi de France il donnerait 8
Quelque fleuron pour sa couronne, 8
Moyennant tant, comme l'on donne, 8
35 Et point autrement ici-bas. 8
Nous serions voisins des États ; 8
Ils en ont l'alarme, et font brigue. 8
Contre Louis chacun se ligue. 8
Cela lui fait beaucoup d'honneur, 8
40 Et ne lui donne point de peur. 8
Que craindroit-il, lui dont les armes 8
Vont aux Turcs causer des alarmes ? 8
Nous attendons du Grand-Seigneur 8
Un bel et bon ambassadeur : 8
45 Il vient avec grande cohorte : 8
Le nôtre est flatté par la Porte. 8
Tout ceci la paix nous promet 8
Entre Saint-Marc et Mahomet. 8
Notre prince en sera l'arbitre : 8
50 Il le peut être à juste titre ;.. 8
Et ferait même, contre soi, 8
Justice au Turc en bonne foi. 8
Pendant que je suis sur la guerre 8
Que Saint-Marc souffre dans sa terre, 8
55 Deux de vos frères sur les flots 8
Vont secourir les Candiots. 8
Oh ! combien de sultanes prises ! 8
Que de croissants dans nos églises ! 8
Quel nombre de turbans fendu ! 8
60 Tête et turban, bien entendu. 8
Puisqu'en parlant de ces matières 8
Me voici tombé sur vos frères, 8
Vous saurez que le chambellan 8
A couru cent cerfs en un an. 8
65 Courir des hommes, je le gage, 8
Lui plairait beaucoup davantage ; 8
Mais de long-temps il n'en courra : 8
Son ardeur se contentera, 8
S'il lui plaît, d'une ombre de guerre. 8
70 D'Auvergne s'est dans notre terre 8
Rompu le bras : il s'est guéri. 8
Ce prince a dans Château-Thierri 8
Passé deux mois et davantage. 8
Rien de meilleur, rien de plus sage, 8
75 Et de plus selon mes souhaits, 8
Parmi les grands ne fut jamais. 8
Le duc d'Albret donne à l'étude 8
Sa principale inquiétude. 8
Toujours il augmente en savoir. 8
80 Je suis jeune assez pour le voir 8
Au-dessus des premières têtes. 8
Son bel esprit, ses mœurs honnêtes, 8
L'élèveront à tel degré 8
Qu'enfin je m'en contenterai. 8
85 Veuille le ciel à tous ses frères 8
Rendre toutes choses prospères, 8
Et leur donner autant de nom, 8
Autant d'éclat et de renom, 8
Autant de lauriers et de gloire 8
90 Que par les mains de la victoire 8
L'oncle en reçoit depuis longtemps ! 8
Si leurs désirs n'en sont contents, 8
Et que plus haut leur âme aspire, 8
Je serai le premier à dire 8
95 Qu'ils auront tort, et que les cœurs 8
Ne sont jamais souls de grandeurs. 8
Trouveront-ils en des familles, 8
Par les garçons et par les filles, 8
Par le père et par les aïeux, 8
100 Un tel nombre de demi-dieux, 8
Et de déesses tout entières ? 8
Car demi-déesses n'est guères 8
En usage, à mon sentiment ; 8
Puis, quand je n'aurais seulement 8
105 Qu'à parler de votre mérite, 8
L'expression serait petite. 8
Veuille le ciel, à votre tour, 8
Vous donner un petit Amour 8
Qui, par la suite des années, 8
110 D'un grand Mars ait les destinées ! 8
Au moment que j'écris ces vers, 8
Et m'informe des bruits divers, 8
Je viens d'apprendre une nouvelle : 8
C'est que, pour éviter querelle, 8
115 On s'est en Pologne choisi 8
Un roi dont le nom est en ski. 8
Ces messieurs du Nord font la nique 8
À toute notre politique. 8
Notre argent, celui des États, 8
120 Et celui d'autres potentats 8
Bien moins en fonds, comme on peut croire, 8
Force santés aura fait boire ; 8
Et puis c'est tout. Je crois qu'en paix 8
Dans la Pologne désormais 8
125 On pourra s'élire des princes ; 8
Et que l'argent de nos provinces 8
Ne sera pas une autre fois 8
Si friand de faire des rois. 8
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