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Jean de LA FONTAINE
ŒUVRES DIVERSES II
1656-1696
ÉPITRES
III
À M. FOUQUET
Dussé-je une fois vous déplaire, 8
Seigneur, je ne me saurais taire. 8
Celui qui, plein d'affection, 8
Vous promet une pension 8
5 Bien payable et bien assignée 8
À tous les quartiers de l'année ; 8
Qui, pour tenir ce qu'il promet, 8
Va souvent au sacré sommet, 8
Et, n'épargnant aucune peine, 8
10 Y dort après tout d'une haleine 8
Huit ou dix heures règlement, 8
Pour l'amour de vous seulement, 8
J'entends à la bonne mesure, 8
Et de cela je vous assure ; 8
15 Celui-là, dis-je, a contre vous 8
Un juste sujet de courroux. 8
L'autre jour, étant en affaire, 8
Et le jugeant peu nécessaire, 8
Vous ne daignâtes recevoir 8
20 Le tribut qu'il croit vous devoir 8
D'une profonde révérence. 8
Il fallut prendre patience, 8
Attendre une heure, et puis partir. 8
J'eus le cœur gros, sans vous mentir, 8
25 Un demi-jour, pas davantage ; 8
Car enfin ce seroit dommage 8
Que, prenant trop mon intérêt, 8
Vous en crussiez plus qu'il n'en est. 8
Comme on ne doit tromper personne, 8
30 Et que votre âme est tendre et bonne, 8
Vous m'iriez plaindre un peu trop fort, 8
Si, vous mandant mon déconfort, 8
Je ne contois au vrai l'histoire ; 8
Peut-être même iriez-vous croire 8
35 Que je souhaite le trépas 8
Cent fois le jour, ce qui n'est pas. 8
Je me console, et vous excuse : 8
Car après tout on en abuse ; 8
On se bat à qui vous aura. 8
40 Je crois qu'il vous arrivera 8
Choses dont aux courts jours se plaignent 8
Moines d'Orbais, et surtout craignent, 8
C'est qu'à la fin vous n'aurez pas 8
Loisir de prendre vos repas. 8
45 Le roi, l'état ; votre patrie, 8
Partagent toute votre vie ; 8
Rien n'est pour vous, tout est pour eux. 8
Bon Dieu ! que l'on est malheureux 8
Quand on est si grand personnage ! 8
50 Seigneur, vous êtes bon et sage, 8
Et je serais trop familier 8
Si je faisois le conseiller. 8
À jouir pourtant de vous-même 8
Vous auriez un plaisir extrême : 8
55 Renvoyez donc en certains temps 8
Tous les traités, tous les traitants, 8
Les requêtes, les ordonnances, 8
Le parlement et les finances, 8
Le vain murmure des frondeurs, 8
60 Mais plus que tous, les demandeurs, 8
La cour, la paix, le mariage, 8
Et la dépense du voyage, 8
Qui rend nos coffres épuisés, 8
Et nos guerriers les bras croisés. 8
65 Renvoyez, dis-je, cette troupe, 8
Qu'on ne vit jamais sur la croupe 8
Du mont où les savantes sœurs 8
Tiennent boutique de douceurs. 8
Mais que pour les amants des Muses 8
70 Votre Suisse n'ait point d'excuses, 8
Et moins pour moi que pour pas un. 8
Je ne serai pas importun : 8
Je prendrai votre heure et la mienne. 8
Si je vois qu'on vous entretienne, 8
75 J'attendrai fort paisiblement 8
En ce superbe appartement 8
Où l'on a fait d'étrange terre, 8
Depuis peu, venir à grand erre 8
(Non sans travail et quelques frais) 8
80 Des rois Céphrim et Kiopès 8
Le cercueil, la tombe ou la bière : 8
Pour les rois, ils sont en poussière. 8
C'est là que j'en voulois venir. 8
Il me fallut entretenir 8
85 Avec ces monuments antiques, 8
Pendant qu'aux affaires publiques 8
Vous donniez tout votre loisir. 8
Certes j'y pris un grand plaisir. 8
Vous semble-t-il pas que l'image 8
90 D'un assez galant personnage 8
Sert à ces tombeaux d'ornement ? 8
Pour vous en parler franchement, 8
Je ne puis m'empêcher d'en rire. 8
Messire Orus, me mis-je à dire, 8
95 Vous nous rendez tous ébahis : 8
Les enfants de votre pays 8
Ont, ce me semble, des bavettes 8
Que je trouve plaisamment faites. 8
On m'eût expliqué tout cela ; 8
100 Mais il fallut partir de là 8
Sans entendre l'allégorie. 8
Je quittai donc la galerie, 8
Fort content, parmi mon chagrin, 8
De Kiopès et de Céphrim, 8
105 D'Orus et de tout son lignage, 8
Et de maint autre personnage ; 8
Puissent ceux d'Égypte en ces lieux, 8
Fussent-ils rois, fussent-ils dieux, 8
Sans violence et sans contrainte, 8
110 Se reposer dessus leur plinthe 8
Jusques au bout du genre humain ! 8
Ils ont fait assez de chemin 8
Pour des personnes de leur taille. 8
Et vous, seigneur, pour qui travaille 8
115 Le temps qui peut tout consumer, 8
Vous, que s'efforce de charmer 8
L'antiquité qu'on idolâtre, 8
Pour qui le dieu de Cléopâtre, 8
Sous nos murs enfin abordé, 8
120 Vient de Memphis à Saint-Mandé, 8
Puissiez-vous voir ces belles choses 8
Pendant mille moissons de roses ! 8
Mille moissons, c'est un peu trop ; 8
Car nos ans s'en vont au galop, 8
125 Jamais à petites journées. 8
Hélas ! les belles destinées 8
Ne devraient aller que le pas. 8
Mais quoi ! le ciel ne le veut pas. 8
Toute âme illustre s'en console, 8
130 Et, pendant que l'âge s'envole, 8
Tâche d'acquérir un renom 8
Qui fait encor vivre le nom 8
Quand le héros n'est plus que cendre : 8
Témoin celui qu'eut Alexandre 8
135 Et celui du fils d'Osiris, 8
Qui va revivre dans Paris. 8
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