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LFT_3/LFT361
Jean de LA FONTAINE
ŒUVRES DIVERSES I
1658-1694
ODES
ODE III
POUR MADAME
Pendant le cours des malheurs 7
Qu'enfante une longue guerre, 7
L'Olympe ému de nos pleurs 7
Voulut consoler la terre : 7
5 Il fit naître la beauté 7
Qui tient Philippe arrêté, 7
Beauté sur toutes insigne : 7
D'un présent si précieux 7
Si la terre étoit indigne, 7
10 C'est un don digne des cieux. 7
Des trésors du firmament 7
Cette princesse se pare, 7
Et les dieux, en la formant, 7
N'ont rien produit que de rare ; 7
15 Ils ont rendu ses appas 7
L'ornement de nos climats, 7
Et la gloire de notre âge. 7
Le conseil des immortels 7
Augmenta par cet ouvrage 7
20 Les honneurs de ses autels. 7
Elle reçut la beauté 7
De la reine de Cythère, 7
De Junon la majesté, 7
Des Grâces le don de plaire ; 7
25 L'éclat fut pris du Soleil, 7
Et l'Aurore au teint vermeil 7
Donna les lèvres de roses : 7
Lorsque d'un mélange heureux 7
Le ciel eut uni ces choses, 7
30 Il en devint amoureux. 7
La Tamise sur ses bords 7
Vit briller et disparaître 7
Le riche amas des trésors 7
Qu'à peine elle avoit vus naître ; 7
35 Elle eut honte qu'un objet, 7
De tant de vœux le sujet, 7
Cherchât une autre demeure : 7
Heureuse, si pour toujours 7
Le ciel eût à la même heure 7
40 Cessé d'éclairer son cours ! 7
Les Anglois virent partir 7
La princesse et tous ses charmes, 7
Sans qu'elle pût consentir 7
Qu'on la rendît à leurs larmes : 7
45 Ces peuples, avant ce jour, 7
Glorieux de son séjour, 7
Se croyoient seuls dignes d'elle : 7
Ils le croyoient vainement, 7
Car la France est d'une belle 7
50 Le véritable élément. 7
Bientôt, selon nos désirs, 7
Nous en devînmes les hôtes : 7
Une troupe de Zéphyrs 7
L'accompagna dans nos côtes : 7
55 C'est ainsi que vers Paphos 7
On vit jadis sur les flots 7
Voguer la fille de l'onde, 7
Et les Amours et les Ris, 7
Comme gens d'un autre monde, 7
60 Étonnèrent, les esprits. 7
Telle vint en ce séjour 7
La merveille que je chante 7
Elle crût, et notre cour 7
Reprit sa face riante : 7
65 Autant, que Mars florissoit, 7
Amour alors languissoit, 7
Levant à peine les ailes ; 7
L'astre né chez les Anglois, 7
A la honte de nos belles, 7
70 Le rétablit dans ses droits. 7
Que de princes amoureux 7
Ont brigué son hyménée ! 7
Elle a refusé leurs vœux ; 7
Pour Philippe elle étoit née 7
75 Pour lui seul elle a quitté 7
Le Portugais indompté, 7
Roi des terres inconnues, 7
Le voisin du fier croissant, 7
Et de nos Alpes chenues 7
80 Le monarque florissant. 7
Philippe est un bien si doux, 7
Que c'est le seul qui l'enflamme ; 7
Sous les cieux que voyons-nous 7
Qui soit du prix de son âme ? 7
85 Les héritières des rois 7
Ont souhaité mille fois 7
D'en faire la destinée ; 7
C'est un plus, glorieux sort 7
Que de se voir couronnée 7
90 Reine des sources de l'or. 7
Mais si son cœur est d'un prix 7
Pour qui la terre est petite, 7
L'objet dont il est épris 7
N'est pas d'un moindre mérite ; 7
95 Si sa beauté le surprit, 7
Des grâces de son esprit 7
De jour en jour il s'enflamme, 7
La princesse tient des deux 7
Du moins autant par son âme 7
100 Que par l'éclat de ses yeux. 7
Ils sont joints ces jeunes cœurs 7
Qui du ciel tirent leur race : 7
Puissent-ils être vainqueurs 7
Des ans par qui tout s'efface ! 7
105 Que de leurs désirs constants 7
Dure à jamais le printemps 7
Rempli de jours agréables ! 7
O couple aussi beau qu'heureux ! 7
Vous serez toujours aimables ; 7
110 Soyez toujours amoureux. 7
Que de vous naisse un héros 7
Dont les palmes immortelles 7
Ne donnent aucun repos 7
Aux nations infidèles : 7
115 Que le fruit de vos amours 7
Égale aux herbes leurs tours, 7
Mette leurs villes en cendre ; 7
Et puisse un jour l'univers 7
Devoir un autre Alexandre 7
120 Au Philippe de mes vers ! 7
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