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LFT_3/LFT353
Jean de LA FONTAINE
ŒUVRES DIVERSES I
1658-1694
ÉLÉGIES
ÉLÉGIE I
POUR M. FOUQUET
AUX NYMPHES DE VAUX
Remplissez l'air de cris en vos grottes profondes, 12
Pleurez, nymphes de Vaux, faites croître vos ondes ; 12
Et que l'Anqueuil enflé ravage les trésors 12
Dont les regards de Flore ont embelli ses bors. 12
5 On ne blâmera pas vos larmes innocentes ; 12
Vous pouvez donner cours à vos douleurs pressantes ; 12
Chacun attend de vous ce devoir généreux ; 12
Les destins sont contents ; Oronte est malheureux. 12
Vous l'avez vu naguère au bord de vos fontaines, 12
10 Qui, sans craindre du sort les faveurs incertaines, 12
Plein d'éclat, plein de gloire, adoré des mortels, 12
Recevoit des honneurs qu'on ne doit qu'aux autels. 12
Hélas ! qu'il est déchu de ce bonheur suprême ! 12
Que vous le trouveriez différent de lui-même ! 12
15 Pour lui les plus beaux jours sont de secondes nuits 12
Les soucis dévorants, les regrets, les ennuis, 12
Hôtes infortunés de sa triste demeure, 12
En des gouffres de maux le plongent à toute heure. 12
Voilà le précipice où l'ont enfin jeté 12
20 Les attraits enchanteurs de la prospérité ! 12
Dans les palais des rois cette plainte est commune, 12
On n'y connoît que trop les jeux de la Fortune, 12
Ses trompeuses faveurs, ses appas inconstants ; 12
Mais on ne les connoît que quand il n'est plus temps. 12
25 Lorsque sur cette mer on vogue à pleines voiles, 12
Qu'on croit avoir pour soi les vents et les étoiles, 12
Il est bien malaisé de régler ses désirs ; 12
Le plus sage s'endort sur la foi des zéphyrs. 12
Jamais un favori ne borne sa carrière ; 12
30 Il ne regarde pas ce qu'il laisse en arrière ; 12
Et tout ce vain amour des grandeurs et du bruit 12
Ne le saurait quitter qu'après l'avoir détruit. 12
Tant d'exemples fameux que l'histoire en raconte 12
Ne suffisoient-ils pas, sans la perte d'Oronte ? 12
35 Ah si ce faux éclat n'eût pas fait ses plaisirs, 12
Si le séjour de Vaux eût borné ses désirs, 12
Qu'il pouvoit doucement laisser couler son âge ! 12
Vous n'avez pas chez vous ce brillant, équipage, 12
Cette foule de gens qui s'en vont chaque jour 12
40 Saluer à longs flots le soleil de la cour : 12
Mais la faveur du ciel vous donne en récompense. 12
Du repos, du loisir, de l'ombre, et du silence, 12
Un tranquille sommeil, d'innocents entretiens ; 12
Et jamais à la cour on ne trouve ces biens. 12
45 Mais quittons ces pensers : Oronte nous appelle. 12
Vous, dont il a rendu la demeure si belle, 12
Nymphes, qui lui devez vos plus charmants appas, 12
Si le long de vos bords Louis porte ses pas, 12
Tâchez de l'adoucir, fléchissez son courage : 12
50 Il aime ses sujets, il est juste, il est sage ; 12
Du titre de clément rendez-le ambitieux ; 12
C'est par là que les rois sont semblables aux dieux. 12
Du magnanime Henri qu'il contemple la vie ; 12
Dès qu'il put se venger il en perdit l'envie. 12
55 Inspirez à Louis cette même douceur : 12
La plus belle victoire est de vaincre son cœur. 12
Oronte est à présent un objet de clémence ; 12
S'il a cru les conseils d'une aveugle puissance, 12
Il est assez puni par son sort rigoureux ; 12
60 Et c'est être innocent que d'être malheureux. 12
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