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LFT_3/LFT350
Jean de LA FONTAINE
ŒUVRES DIVERSES I
1658-1694
FRAGMENTS DU SONGE DE VAUX
1671
FRAGMENT IX
LES AMOURS DE MARS ET DE VÉNUS
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Vous devez avoir lu qu'autrefois le dieu Mars, 12
Blessé par Cupidon d'une flèche dorée, 12
Après avoir dompté les plus fermes remparts, 12
Mit le camp devant Cythérée. 8
5 Le siége ne fut pas de fort longue durée : 12
A peine Mars se présenta, 8
Que la belle parlementa. 8
Dans les formes pourtant il entreprit l'affaire, 12
Par tous moyens tâcha de plaire, 8
10 De son ajustement prit d'abord un grand soin. 12
Considérez-le en ce coin, 7
Qui quitte sa mine fière ; 7
Il se fait attacher son plus riche harnois : 12
Quand ce seroit pour des jours de tournois, 10
15 On ne le verroit pas vêtu d'autre manière. 12
L'éclat de ses habits fait honte à l'œil du jour ; 12
Sans cela, fît-on mordre aux géants la poussière, 12
Il est bien malaisé de rien faire en amour. 12
En peu de temps Mars emporta la dame. 10
20 Il la gagna peut-être en lui contant sa flamme : 12
Peut-être conta-t-il ses siéges, ses combats, 12
Parla de contrescarpe, et cent autres merveilles 12
Que les femmes n'entendent pas, 8
Et dont pourtant les mots sont doux à, leurs oreilles. 12
25 Voyez combien Vénus, en ces lieux écartés, 12
Aux yeux de ce guerrier étale de beautés ! 12
Quels longs baisers ! La gloire a bien des charmes, 10
Mais Mars en la servant ignore ces douceurs. 12
Son harnois est sur l'herbe : Amour pour toutes armes 12
30 Veut des soupirs et des larmes ; 7
C'est ce qui triomphe des cœurs. 8
Phébus pour la déesse avoit même dessein, 12
Et, charmé de l'espoir d'une telle conquête, 12
Couvoit plus de feux dans son sein 8
35 Qu'on n'en voyoit à l'entour de sa tête, 10
C'étoit un dieu pourvu de cent charmes divers. 12
Il étoit beau ; mais il faisoit des vers, 10
Avoit un peu trop de doctrine, 8
Et, qui pis est, savoit la médecine. 10
40 Or soyez sûr qu'en amours, 7
Entre l'homme d'épée et l'homme de science, 12
Les dames au premier inclineront toujours, 12
Et toujours le plumet aura la préférence. 12
Ce fut donc le guerrier qu'on aima mieux choisir. 12
45 Phébus, outré de déplaisir, 8
Apprit à Vulcan ce mystère ; 8
Et dans le fond d'un bois voisin de son séjour 12
Lui fit voir avec Mars la reine de Cythère, 12
Qui n'avoient en ces lieux pour témoin que l'Amour. 12
50 La peine de Vulcan se voit représentée, 12
Et l'on ne diroit pas que les traits en sont feints : 12
Il demeure immobile, et son âme agitée 12
Roule mille pensers qu'en ses yeux on voit peints ; 12
Son marteau lui tombe des mains ; 8
55 Il a martel en tête, et ne sait que résoudre, 12
Frappé comme d'un coup de foudre. 8
Le voici, dans cet autre endroit, 8
Qui querelle et qui bat sa femme. 8
Voyez-vous ce galant qui les montre du doigt ? 12
60 Au palais de Vénus il s'en alloit tout droit, 12
Espérant y trouver le sujet qui l'enflamme. 12
La dame d'un logis, quand elle fait l'amour, 12
Met le tapis chez elle à toutes les coquettes. 12
Dieu sait si les galants lui font aussi la cour ! 12
65 Ce ne sont que jeux et fleurettes, 8
Plaisants devis et chansonnettes ; 8
Mille bons mots, sans compter les bons tours, 10
Font que sans s'ennuyer chacun passe les jours. 12
Celle que vous voyez apportait une lyre, 12
70 Ne songeant qu'à se réjouir ; 8
Mais Vénus pour le coup ne la sauroit ouïr ; 12
Elle est trop empêchée, et chacun se retire. 12
Le vacarme que fait Vulcan 8
A mis l'alarme au camp. 6
75 Mais, avec tout ce bruit, que gagne le pauvre homme ? 12
Quand les cœurs ont goûté les délices d'Amour, 12
Ils iroient plutôt jusqu'à Rome 8
Que de s'en passer un seul jour. 8
Sur un lit de repos voyez Mars et sa dame : 12
80 Quand l'hymen les joindroit de son nœud le plus fort, 12
Que l'un fût le mari, que l'autre fût la femme, 12
On ne pourroit entre eux voir un plus bel accord. 12
Considérez plus bas les trois Grâces pleurantes ; 12
La maîtresse a failli, l'on punit les suivantes ; 12
85 Vulcan veut tout chasser. Mais quels dragons veillants » 12
Pourroient contre tant d'assaillants 8
Garder une toison si chère ? 8
Il accuse surtout l'enfant qui fait aimer ; 12
Et, se prenant au fils des péchés de la mère, 12
90 Menace Cupidon de le faire enfermer. 12
Ce n'est pas tout : plein d'un dépit extrême, 10
Le voilà qui se plaint au monarque des dieux, 12
Et de ce qu'il devroit se cacher à soi-même 12
Importune sans cesse et la terre et les cieux. 12
95 L'adultère Jupin, d'un ris malicieux, 12
Lui dit que ce malheur est pure fantaisie, 12
Et que de s'en troubler les esprits sont bien fous. 12
Plaise au ciel que jamais je n'entre en jalousie ! 12
Car c'est le plus grand mal, et le moins plaint de tous. 12
100 Que fait Vulcan ? car, pour se voir vengé, 10
Encor faut-il qu'il fasse quelque chose : 10
Un rets d'acier par ses mains est forgé ; 10
Ce fut Momus qui, je pense, en fut cause. 10
Avec ce rets le galant lui propose 10
105 D'envelopper nos amants bien et beau. 10
L'enclume sonne, et maint coup de marteau, 10
Dont maint chaînon l'un à l'autre s'assemble, 10
Prépare aux dieux un spectacle nouveau 10
De deux amants qui reposent ensemble. 10
110 Les noires sœurs apprêtèrent le lit ; 10
Et nos amants trouvant l'heure opportune, 10
Sous le réseau pris en flagrant délit, 10
De s'échapper n'eurent puissance aucune. 10
Vulcan fait lors éclater sa rancune : 10
115 Tout, en dopant le vieillard écloppé 10
Semond les dieux, jusqu'au plus occupé, 10
Grands et petits, et toute la séquelle. 10
Demandez-moi qui fut bien attrapé : 10
Ce fut, je crois, le galant et la belle. 10
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