FRAGMENTS DU SONGE DE VAUX |
1671 |
FRAGMENT V |
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Quoi ! je vous trouve ici, mes divines maîtresses ! |
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De vos monts écartés vous cessez d'être hôtesses ! |
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Quel charme ont eu pour vous les lambris que je vois ? |
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Vous aimiez, disoit-on, le silence des bois ; |
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Qui vous a fait quitter cette humeur solitaire ? |
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D'où vient que les palais commencent à vous plaire ? |
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J'avois beau vous chercher sur les bords d'un ruisseau. |
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Mais quelle fête cause un luxe si nouveau ? |
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Pourquoi vous vêtez-vous de robes éclatantes ? |
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Muses, qu'avez-vous fait de ces jupes volantes |
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Avec quoi dans les bois, sans jamais vous lasser, |
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Parmi la cour de Faune on vous voyoit danser ? |
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Un si grand changement a de quoi me confondre. |
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Pas une des neuf Sœurs ne daigna me répondre. |
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Oronte, dit Ariste, occupe leurs esprits : |
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Tantôt dans les forêts, tantôt sous les lambris, |
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Elles font résonner sa gloire et son mérite. |
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Voyez comme pour lui Melpomène médite ; |
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Thalie en est jalouse, et ses paisibles sons |
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Valent bien quelquefois les tragiques chansons. |
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Toutes deux au héros ont consacré leurs veilles : |
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Elles n'ont ni beautés, ni grâces, ni merveilles, |
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Que pour le divertir leur art ne mette au jour ; |
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Et chacune a pour but de lui plaire à son tour. |
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Melpomène pour lui peint les vertus romaines ; |
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L'autre imite toujours les actions humaines : |
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Ces couronnes, ce masque, expriment leurs emplois, |
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Présentent à ses yeux ou le peuple ou les rois. |
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La scène, lui montrant les héros ses semblables. |
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Évoque leurs esprits enterrés sous les fables, |
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Des climats de l'histoire en fait souvent venir, |
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Et se va chez les morts de spectacles fournir. |
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Leur troupe, en sa faveur pleine d'un doux ennui, |
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Quand tout dort ici-bas, travaille encor pour lui : |
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Il semble que le peintre ait eu cette pensée. |
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Voyez l'autre plafond où la Nuit est tracée : |
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Cette divinité, digne de vos autels, |
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Et qui même en dormant fait du bien aux mortels, |
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Par de calmes vapeurs mollement soutenue, |
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La tête sur son bras, et son bras sur la nue, |
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Laisse tomber des fleurs, et ne les répand pas ; |
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Fleurs que les seuls Zéphyrs font voler sur leurs pas. |
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Ces pavots qu'ici-bas pour leur suc on renomme, |
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Tout fraîchement cueillis dans les jardins du Somme, |
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Sont moitié dans les airs, et moitié dans sa main ; |
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Moisson plus que toute autre utile au genre humain. |
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Qu'elle est belle à mes yeux cette Nuit endormie ! |
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Sans doute de l'Amour son âme est ennemie ; |
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Et ce frais embonpoint sur son teint sans pareil |
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Marque un fard appliqué par les mains du Sommeil. |
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Avec tous ses appas, l'aimable enchanteresse |
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Laisse souvent veiller les peuples du Permesse ; |
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Cent doctes nourrissons surmontent son effort. |
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Hélas ! dis-je, pour moi je n'ai rien fait encor ; |
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Je ne suis qu'écoutant parmi tant de merveilles : |
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Me sera-t-il permis d'y joindre aussi mes veilles ? |
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Quand aurai-je ma part d'un si doux entretien ? |
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Veillez, Muses, veillez ; le sujet le vaut bien. |
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