Métrique en Ligne
LFT_3/LFT346
Jean de LA FONTAINE
ŒUVRES DIVERSES I
1658-1694
FRAGMENTS DU SONGE DE VAUX
1671
FRAGMENT V
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Quoi ! je vous trouve ici, mes divines maîtresses ! 12
De vos monts écartés vous cessez d'être hôtesses ! 12
Quel charme ont eu pour vous les lambris que je vois ? 12
Vous aimiez, disoit-on, le silence des bois ; 12
5 Qui vous a fait quitter cette humeur solitaire ? 12
D'où vient que les palais commencent à vous plaire ? 12
J'avois beau vous chercher sur les bords d'un ruisseau. 12
Mais quelle fête cause un luxe si nouveau ? 12
Pourquoi vous vêtez-vous de robes éclatantes ? 12
10 Muses, qu'avez-vous fait de ces jupes volantes 12
Avec quoi dans les bois, sans jamais vous lasser, 12
Parmi la cour de Faune on vous voyoit danser ? 12
Un si grand changement a de quoi me confondre. 12
Pas une des neuf Sœurs ne daigna me répondre. 12
15 Oronte, dit Ariste, occupe leurs esprits : 12
Tantôt dans les forêts, tantôt sous les lambris, 12
Elles font résonner sa gloire et son mérite. 12
Voyez comme pour lui Melpomène médite ; 12
Thalie en est jalouse, et ses paisibles sons 12
20 Valent bien quelquefois les tragiques chansons. 12
Toutes deux au héros ont consacré leurs veilles : 12
Elles n'ont ni beautés, ni grâces, ni merveilles, 12
Que pour le divertir leur art ne mette au jour ; 12
Et chacune a pour but de lui plaire à son tour. 12
25 Melpomène pour lui peint les vertus romaines ; 12
L'autre imite toujours les actions humaines : 12
Ces couronnes, ce masque, expriment leurs emplois, 12
Présentent à ses yeux ou le peuple ou les rois. 12
La scène, lui montrant les héros ses semblables. 12
30 Évoque leurs esprits enterrés sous les fables, 12
Des climats de l'histoire en fait souvent venir, 12
Et se va chez les morts de spectacles fournir. 12
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Leur troupe, en sa faveur pleine d'un doux ennui, 12
Quand tout dort ici-bas, travaille encor pour lui : 12
35 Il semble que le peintre ait eu cette pensée. 12
Voyez l'autre plafond où la Nuit est tracée : 12
Cette divinité, digne de vos autels, 12
Et qui même en dormant fait du bien aux mortels, 12
Par de calmes vapeurs mollement soutenue, 12
40 La tête sur son bras, et son bras sur la nue, 12
Laisse tomber des fleurs, et ne les répand pas ; 12
Fleurs que les seuls Zéphyrs font voler sur leurs pas. 12
Ces pavots qu'ici-bas pour leur suc on renomme, 12
Tout fraîchement cueillis dans les jardins du Somme, 12
45 Sont moitié dans les airs, et moitié dans sa main ; 12
Moisson plus que toute autre utile au genre humain. 12
Qu'elle est belle à mes yeux cette Nuit endormie ! 12
Sans doute de l'Amour son âme est ennemie ; 12
Et ce frais embonpoint sur son teint sans pareil 12
50 Marque un fard appliqué par les mains du Sommeil. 12
Avec tous ses appas, l'aimable enchanteresse 12
Laisse souvent veiller les peuples du Permesse ; 12
Cent doctes nourrissons surmontent son effort. 12
Hélas ! dis-je, pour moi je n'ai rien fait encor ; 12
55 Je ne suis qu'écoutant parmi tant de merveilles : 12
Me sera-t-il permis d'y joindre aussi mes veilles ? 12
Quand aurai-je ma part d'un si doux entretien ? 12
Veillez, Muses, veillez ; le sujet le vaut bien. 12
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