MÉTRIQUE EN LIGNE

LFT_2/LFT334

Jean de LA FONTAINE

CONTES ET NOUVELLES

1668-1694

CONTES ET NOUVELLES ATTRIBUÉS A LA FONTAINE

XIV

PROMETTRE EST UN ET TENIR EST UN AUTRE

	Jean ; amoureux de la jeune Pérette,	10
	Ayant en vain auprès d’elle employé	10
	Soupirs, serments, doux jargon d’amourette,	10
	Sans que jamais rien lui fût octroyé,	10
5	Pour la fléchir s’avisa de lui dire,	10
	En lui montrant de ses mains les dix doigts,	10
	Qu’il lui pourrait prouver autant de fois	10
	Qu’en fait d’amour il étoit un grand sire :	10
	De tels signaux parlent éloquemment,	10
10	Et, pour toucher, ont souvent plus de force ;	10
	Que soins, soupirs, et que tendres serments :	10
	Pérette aussi se prète à cette amorce.	10
	Jà ses regards sont plus doux mille fois ;	10
	Plus de fierté : l’amour a pris sa place ;	10
15	Tout est changé jusqu’au son de sa voix.	10
	On souffre Jean, voire même on l’agace,	10
	On lui sourit ; on le pince parfois ;	10
	Et le galant, voyant l’heure venue,	10
	L’heure aux amants tant seulement connue,	10
20	Ne perd point temps, prend quelques menus droits,	10
	Va plus avant, et si bien s’insinue,	10
	Qu’il acquitta le premier de ses doigts ;	10
	Passe au second, au tiers, au quatrième,	10
	Reprend haleine, et fournit le cinquième.	10
25	Mais qui pourrait aller toujours de même ?	10
	Ce n’est moi jà, quoique d’âge à cela ;	10
	Ne Jean aussi ; car il en reste là.	10
	Pérette donc, en son compte trompée,	10
	Si toutefois c’est tromper que ceci ;	10
30	Car j’en comtois mainte, très-haut huppée,	10
	Qui voudrait bien être trompée ainsi ;	10
	Pérette, dis-je, abusée en son compte,	10
	Et ne pouvant rien de plus obtenir,	10
	Se plaint à Jean, lui dit que c’est grand’honte	10
35	D’avoir promis et de ne pas tenir.	10
	Mais, à cela, cettui trompeur apôtre,	10
	De son travail suffisamment content,	10
	Sans s’émouvoir, répond, en la quittant	10
	Promettre est un, et tenir est’un autre.	10
40	Avec le temps j’acquitterai les dix :	10
	En attendant, Pérette, adieu vous dis ! »	10