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LFT_2/LFT333
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
CONTES ET NOUVELLES ATTRIBUÉS A LA FONTAINE
XIII
LA CRUCHE
Un de ces jours, dame Germaine, 8
Pour certain besoin qu’elle avoit, 8
Envoya Jeanne à la fontaine ; 8
Elle y courut : cela pressoit. 8
5 Mais, en courant, la pauvre créature 10
Eut une fâcheuse aventure. 8
Un malheureux caillou, qu’elle n’aperçut pas, 12
Vint se rencontrer sous ses pas. 8
À ce caillou, Jeanne trébuche, 8
10 Tombe enfin et casse sa cruche. 8
Mieux eût valu cent fois s’être cassé le cou ! 12
Casser une cruche si belle ! 8
Que faire ? Que deviendra-t-elle ? 8
Pour en avoir une autre, elle n’a pas un sou. 12
15 Quel bruit va faire sa maîtresse, 8
De sa nature très-diablesse ? 8
Comment éviter son courroux ? 8
Quel emportement ! Que de coups ! 8
« Oserai-je jamais me l’offrir à sa vue ? 12
20 Non, non, dit-elle ; enfin il faut que je me tue ! 12
Tuons-nous ! » Par bonheur, un voisin, près de là, 12
Accourut, entendant cela ; 8
Et, pour consoler l’affligée, 8
Lui chercha les raisons les meilleures qu’il put ; 12
25 Mais, pour bon orateur qu’il fût, 8
Elle n’en fut point soulagée ; 8
Et la belle toujours, s’arrachant les cheveux, 12
Faisoit couler deux ruisseaux de ses yeux, 10
Enfin vouloit mourir : la chose étoit conclue. 12
30 « Eh bien, veux-tu que je te tue ? 8
Lui dit-il. — Volontiers. » Lui, sans autre façon, 12
Vous la jette sur le gazon, 8
Obéit à ce qu’elle ordonne ; 8
À la tuer des mieux apprête ses efforts, 12
35 Lève sa cotte, et puis lui donne 8
D’un poignard à travers le corps. 8
On a grande raison de dire 8
Que pour les malheureux la mort a ses plaisirs : 12
Jeanne roule les yeux, se pâme, enfin expire ; 12
40 Mais, après les derniers soupirs, 8
Elle remercia le sire : 8
« Ho ! le brave homme que voilà ! 8
Grand merci, Jean ! Je suis la plus humble des vôtres. 12
Les tuez-vous comme cela ? 8
45 Vraiment, j’en casserai bien d’autres ! » 8
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