Métrique en Ligne
LFT_2/LFT327
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
CONTES ET NOUVELLES ATTRIBUÉS A LA FONTAINE
VII
LES NOCES DE GUILLOT
CONTE TIRÉ DE MACHIAVEL
Dans les noces toujours se disent les bons mots, 12
Car la joie et l’amour vont d’une même route : 12
Tous deux ouvrent l’esprit sans doute ; 8
Et si dans ces endroits il s’y fait quelques sots, 12
5 Si l’on y voit germer les têtes 8
Des bêtes, 2
C’est pour le compte des traitants ; 8
Car le reste des assistants 8
Ne songe qu’à manger et rire. 8
10 Sur ce sujet, il me souvient. 8
D’un conte qu’on m’a fait, qui fort à, propos vient, 12
Et tel qu’on me l’a fait, je m’en vais vous le dire. 12
Aux noces d’un certain Guillot, 8
Je ne sais s’il y fut fait sot ; 8
15 Mais je sais que grosse cohorte 8
De gens de différente sorte 8
Et de différent sexe aussi, 8
Y goba maint chasse-souci ; 8
Surtout de certaines commères, 8
20 Fort friandes des bonnes, chères, 8
Et de certains encolletés, 8
S’y tinrent tous pour invités, 8
Car la fête jamais ne se trouveroit bonne, 12
Surtout quand femme il y a. 7
25 Si quelque abbé n’assistoit en personne, 10
Pour entonner l’ALLÉLUIA, 8
Ou pour cajoler. Tant y a 8
Que dans cette noce-ci 7
Trois commères sans souci, 7
30 Un homme et sa femme aussi, 7
Et certain porte-soutane, 7
S’y trouvèrent en caravane. 8
L’abbé étoit rêveur, triste comme la mort ; 12
Mais il n’avoit pas tout le tort, 8
35 Puisque l’on enlève sa mie : 8
C’est sa tonton qui se marie. 8
C’étoit assez pour en devenir fol, 10
Et pour s’aller casser le col. 8
Enfin, après bon vin, bon pain et bonne chère, 12
40 La femme parla la première ; 8
De la nouvelle épouse elle dit les bijoux, 12
La dot qu’elle porte à l’époux, 8
Ses fonds, ses biens et ses chevances, 8
Ses qualités, ses alliances. 8
45 Enfin que les conjoints sont à jamais heureux : 12
« Il n’est que moi de malheureux, 8
Dit le mari d’un ton fort pitoyable ; 10
Tu ne m’as pas porté la corne d’un seul diable … 12
— Écoutez-le ! dit la femme en courroux ; 10
50 Sachez, mon très-ingrat époux, 8
Que je n’ai pas porté la corne d’un seul diable, 12
Mais mille cornes d’autres gens, 8
Dont nous tirons bien de l’argent. » 8
Cependant la commère Aimée, 8
55 Du jus de Bacchus animée, 8
Lors s’écrie en riant : « Je vois en ce réduit 12
Un lit, 2
Qui servira, toute la nuit, 8
De champ à sanglante bataille, 8
60 Mais pourtant de celles qu’on baille 8
Sans grand courroux et sans grand bruit. 8
Nos champions déjà semblent se mettre en ordre ; 12
Leurs yeux commencent leur débat ; 8
Ils se défient au combat, 8
65 Ils enragent de s’entre-mordre, 8
Et comme de vrais inhumains, 8
Ils désirent d’en être aux mains. 8
Voyez comme les yeux leur brillent ! 8
Pour le combat, comme ils petillent ! 8
70 Je crains qu’en cette occasion 8
Il n’y ait quelque effusion 8
De sang humain ou de quelque autre chose, 10
Qu’ici vous étaler je n’ose. 8
— Oh ! pour moi, Lucrèce reprit, 8
75 Je n’ai pas beaucoup de l’esprit ; 8
Mais je n’ai jamais pu comprendre 8
Gomme une jeune fille, et délicate et tendre, 12
Peut se résoudre de coucher 8
Avec un garçon en chemise, 8
80 Et je serois bien entreprise, 8
S’il me venoit ainsi toucher. 8
— Voyez-vous la sainte Nitouche ! 8
Interrompit Clarisse à ce moment : 10
Vous ne diriez pas qu’elle y touche ! 8
85 Elle fait la petite bouche, 8
Mais on sait bien ses sentiments ; 8
Elle préfère les serments 8
De ses amants 4
À tous les actes de notaire. 8
90 Mais ce n’est pas là tout l’affaire ! 8
Continua Clarisse, et d’un ton goguenard ; 12
Car je gage une grosse somme, 8
Qu’elle va refuser un parfait honnête homme, 12
De peur d’épouser un cornard ! 8
95 — Eh ! tout doux, ma bonne commère ! 8
Répondit Lucrèce en colère ; 8
Retenez mieux votre courroux : 8
Que mon fait point ne vous tourmente ! 8
Je n’en agis point comme vous, 8
100 Qui, dès lors que le cocu chante, 8
N’oseriez approcher un bois, 8
Sans prendre une grande épouvante, 8
Croyant de votre époux entendre alors la voix. » 12
Aussitôt la commère Aimée, 8
105 En voyant les fers s’échauffer, 8
Que leur bile étoit enflammée, 8
Qu’elles alloient se décoiffer, 8
S’avisa, en femme de bien, 8
D’y mettre ordre en rompant le chien : 8
110 « Quoi ! vous ne dites rien, dit-elle, mon compère 12
(En s’adressant à messire l’abbé) ? 10
Oh ! vous ne nous estimez guère ! 8
Vous n’avez point encor parlé ? 8
Quittez-moi cette humeur et taciturne et morne ; 12
115 Car, à vous voir ne dire mot. 8
L’on vous prendrait bien pour un sot ; 8
Oui, l’on diroit d’abord que vous avez pris corne. 12
Quittez-moi cet air de soupir ! 8
Çà, çà, pour me faire plaisir, 8
120 Faites-moi vite un petit conte !… 8
— Madame, dit l’abbé, trop d’honneur me fait honte, 12
Et sans doute vous vous trompez : 8
Je ne suis ni marquis ni comte ; 8
Faire je ne vous puis que des petits abbés. 12
125 Cette nouvelle épouse en sait bien quelque chose » 12
À tant finit ici la glose ; 8
Car l’on finit bientôt, bientôt on s’en alla, 12
Et de ceci ni de cela 8
Jamais personne ne parla. 8
logo du CRISCO logo de l'université