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LFT_2/LFT325
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
CONTES ET NOUVELLES ATTRIBUÉS A LA FONTAINE
V
IL VAUT MIEUX MANGER DU LARD
QUE MOURIR DE FAIM
Fabrice, dès longtemps, près d’une belle dame, 12
Tiroit de la poudre aux moineaux ; 8
Et quoiqu’il fit et festins et cadeaux ; 10
L’ingrate cependant se moquoit de sa flamme 12
5 Exagérant sa forte passion, 10
L’excès de son ardeur, la grandeur, de sa peine, 12
Il la trouvoit plus inhumaine, 8
Et son amour fournoit à sa confusion, 12
Un jour enfin, lassé de sa persévérance, 12
10 Voulant de son amour avoir la récompense, 12
Chez elle il s’en alla pour la pousser à bout, 12
Mais il y rencontra seulement la servante, 12
Qui, plus douce et plus indulgente, 8
Facilement lui permit tout. 8
15 Ce doux combat, cette amoureuse lice 10
Plut tant au vigoureux Fabrice, 8
Qu’il ne manquoit, ou de jour ou de nuit, 10
Sous prétexte de voir son ingrate maîtresse, 12
De faire naître avec adresse 8
20 Un rendez-vous pour l’amoureux déduit ; 10
Mais, quoiqu’il eût les yeux à l’erte, 8
L’affaire, par malheur, fut un jour découverte, 12
Et la maîtresse, avec juste raison : 10
« Quoi ! vous venez, ô Fabrice, dit-elle, 10
25 Me faire tenir la chandelle 8
Pour vos plaisirs, jusque dans ma maison ! 10
Encore, si cette servante 8
Étoit d’une beauté charmante, 8
J’excuserois peut-être votre erreur ; 10
30 Mais une petite souillarde, 8
Une laidron, une bavarde ! 8
Il y va trop de votre honneur ! » 8
Fabrice, voyant donc qu’on lui chantoit sa gamme, 12
Poussé d’un dépit amoureux. 8
35 Répondit : « Il est vrai, j’ai failli ; mais, madame, 12
Ne suis-je pas bien malheureux ? 8
Pour vos beaux yeux je soupire’sans cesse, 10
Sans obtenir une seule caresse, 10
M’avez-vous soulagé même d’un doux regard ? 12
40 Faisant ce que j’ai fait, l’offense est-elle grande ? 12
Et ne vaut-il pas mieux se repaître de lard, 12
Que de mourir de faim près d’une bonne viande ? » 12
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