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LFT_2/LFT324
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
CONTES ET NOUVELLES ATTRIBUÉS A LA FONTAINE
IV
L’ESPAGNOL
Un Espagnol avoit dans sa maison 10
Une peste, une fausse lame, 8
Un diable familier, c’est-à-dire une femme 12
Qui n’entendoit ni rime ni raison. 10
5 En vain, pour la rendre docile, 8
Ce mari, passable escrimeur, 8
Employoit dans le lit sa force et sa vigueur ; 12
Il trouvoit cependant son remède inutile. 12
Il consultoit ses amis, ses parents, 10
10 Qui, juges de leurs différents, 8
Terminoient parfois leurs querelles, 8
Mais qui, lassés de voir et naître et pulluler 12
Des riottes continuelles, 8
Ne voulurent plus s’en mêler. 8
15 Il fut contraint de prendre patience, 10
Et d’imiter ces oiseaux passagers 10
Qui, bâtissant leurs nids même dans les clochers, 12
Ont. une si forte assurance, 8
Que, sans s’étonner du grand bruit, 8
20 Ils entendent le son des cloches, 8
Et ne craignent pas les approches 8
Des gens qui sonnent jour et nuit. 8
Notre Espagnol, en savant politique, 10
Méditant donc un remède à ses maux, 10
25 Dissimuloit sa peine et ses travaux, 10
Et caressoit son diable domestique, 10
Quand il lui vint un affaire pressant 10
Qui le contraignit d’entreprendre, 8
Sans différer et sans attendre, 8
30 Un voyage vers le Levant. 8
Il dresse, à cet effet, son petit équipage, 12
Et prépare, pour sonvoyage, 8
Tout ce qu’il croit qui lui fera besoin. 10
Mais sa femme, par un caprice, 8
35 Dit qu’elle veut l’accompagner si loin,’ 10
Et ne le point quitter, pour lui rendre service. 12
L’Espagnol, étonné du dessein surprenant, 12
S’oppose en vain, dit qu’elle est une bête ; 10
Mais les femmes ont une tête : 8
40 Il fallut consentir, malgré son sentiment. 12
Les voilà donc qui quittent le rivage, 10
Embarqués dans un bon vaisseau, 8
Qui par sa vitesse fend l’eau, 8
Et semble terminer promptement le voyage ; 12
45 Lorsque les vents, en augmentant les flots, 10
Forment une telle tourmente, 8
Que les plus hardis matelots 8
Chancellent en voyant une perte évidente. 12
Le commandant, pour sauver le vaisseau, 10
50 Ordonne de jeter en l’eau 8
Toutes les choses plus pesantes. 8
La crainte d’une affreuse mort 8
Fait obéir, et l’on jette d’abord 10
Les hardes bonnes et méchantes. 8
55 Notre Espagnol, bien plus obéissant, 10
Voyant l’occasion favorable et propice, 12
Jette dans la mer, à l’instant, 8
Sa femme ou bien son étui de malice. 10
Le vent et le trouble cessé, 8
60 Le commandant prend connoissance, 8
Avec raison, de ce qui s’est passé, 10
Et veut d’un tel mari punir la violence ; 12
Mais l’Espagnol, interrogé, répond 10
Que c’est à tort qu’on lui veut faire affront, 10
65 Et jouant bien son personnage, 8
Il dit : « Ayant jeté ma femme dans la mer, 12
J’ai obéi ! Me faut-il donc blâmer ? 10
Rien ne me pesoit davantage. » 8
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