|
Cependant l’humble toit devient temple, et ses murs |
12 |
|
Changent leur frêle enduit aux marbres les plus durs ; |
12 |
115 |
De pilastres massifs les cloisons revêtues, |
12 |
|
En moins de deux instants, s’élèvent jusqu’aux nues ; |
12 |
|
Le chaume devient or, tout brille en ce pourpris. |
12 |
|
Tous ces événements sont peints sur le lambris. |
12 |
|
Loin, bien loin les tableaux de Zeuxis et d’Apelle ! |
12 |
120 |
Ceux-ci furent tracés d’une main immortelle. |
12 |
|
Nos deux époux, surpris, étonnés, confondus, |
12 |
|
Se crurent, par miracle, en l’Olympe rendus. |
12 |
|
« Vous comblez, dirent-ils, vos moindres créatures ! |
12 |
|
Aurions-nous bien le cœur et les mains assez pures |
12 |
125 |
Pour présider ici sur les honneurs divins, |
12 |
|
Et, prêtres, vous offrir les vœux des pèlerins ? » |
12 |
|
Jupiter exauça leur prière innocente. |
12 |
|
Hélas ! dit Philémon, si votre main puissante |
12 |
|
Vouloit favoriser, jusqu’au bout, deux mortels, |
12 |
130 |
Ensemble nous mourrions, en servant vos autels ; |
12 |
|
Clothon feroit d’un coup ce double sacrifice ; |
12 |
|
D’autres mains nous rendraient un vain et triste office : |
12 |
|
Je ne pleurerais point celle-ci, ni ses yeux |
12 |
|
Ne troubleraient non plus de leurs larmes ces lieux. » |
12 |
135 |
Jupiter, à ce voeu, fut encor favorable. |
12 |
|
Mais oserai-je dire un fait presque incroyable ? |
12 |
|
Un jour qu’assis tous deux dans le sacré parvis, |
12 |
|
Ils contoient cette histoire aux pèlerins ravis, |
12 |
|
La troupe, à l’entour d’eux, debout, prêtait l’oreille ; |
12 |
140 |
Philémon leur disoit : « Ce lieu plein de merveille |
12 |
|
N’a pas toujours servi de temple aux immortels ; |
12 |
|
Un bourg étoit autour, ennemi des autels : |
12 |
|
Gens barbares, gens durs, habitacle d’impies, |
12 |
|
Du céleste courroux tous furent les hosties. |
12 |
145 |
Il ne resta que nous d’un si triste débris ; |
12 |
|
Vous en verrez tantôt la suite en nos lambris : |
12 |
|
Jupiter l’y peignit. » En contant ces annales, |
12 |
|
Philémon regardoit Baucis par intervalles ; |
12 |
|
Elle devenoit arbre, et lui tendoit les bras : |
12 |
150 |
Il veut lui tendre aussi les siens, et ne peut pas. |
12 |
|
Il veut parler : l’écorce a sa langue pressée. |
12 |
|
L’un et l’autre se dit adieu de la pensée, |
12 |
|
Le corps n’est tantôt plus que feuillage et que bois. |
12 |
|
D’étonnement, la troupe, ainsi qu’eux, perd la voix. |
12 |
155 |
Même instant, même sort, à leur fin les entraîne : |
12 |
|
Baucis devient tilleul, Philémon devient chêne. |
12 |
|
On les va voir encore, afin de mériter |
12 |
|
Les douceurs qu’en hymen Amour leur fit goûter. |
12 |
|
Ils courbent sous le poids des offrandes sans nombre. |
12 |
160 |
Pour peu que des époux séjournent sous leur ombre, |
12 |
|
Ils s’aiment jusqu’au bout, malgré l’effort des ans. |
12 |
|
Ah ! si…. Mais, autre part, j’ai porté mes présents. |
12 |
|
Célébrons seulement cette métamorphose. |
12 |
|
De fidèles témoins m’ayant conté la chose, |
12 |
165 |
Clio me conseilla de l’étendre en ces vers, |
12 |
|
Qui pourront quelque jour l’apprendre à l’univers. |
12 |
|
Quelque jour on verra chez les races futures, |
12 |
|
Sous l’appui d’un grand nom, passer ces aventures. |
12 |
|
Vendôme, consentez au los que j’en attends ; |
12 |
170 |
Faites-moi triompher de l’Envie et du Temps ; |
12 |
|
Enchaînez ces démons : que sur nous ils n’attentent, |
12 |
|
Ennemis des héros et de ceux qui les chantent ! |
12 |
|
Je voudrois pouvoir dire, en un style.assez haut, |
12 |
|
Qu’ayant mille vertus, vous n’avez nul défaut. |
12 |
175 |
Toutes les célébrer, seroit oeuvre infinie ; |
12 |
|
L’entreprise demande un plus vaste génie : |
12 |
|
Car quel mérite enfin ne vous fait estimer ? |
12 |
|
Sans parler de celui qui force à vous aimer, |
12 |
|
Vous joignez à ces dons l’amour des beaux ouvrages ; |
12 |
180 |
Vous y joignez un goût plus sûr que nos suffrages ; |
12 |
|
Don du ciel, qui peut seul tenir lieu des présents |
12 |
|
Que nous font à regret le travail et les ans. |
12 |
|
Peu de gens élevés, peu d’autres encor même, |
12 |
|
Font voir, par ces faveurs, que Jupiter les aime. |
12 |
185 |
Si quelque enfant des dieux les possède, c’est vous ! |
12 |
|
Je l’ose dans ces vers soutenir devant tous. |
12 |
|
Clio, sur son giron, à l’exemple d’Homère, |
12 |
|
Vient de les retoucher, attentive à vous plaire : |
12 |
|
On dit qu’elle et ses sœurs, par l’ordre d’Apollon, |
12 |
190 |
Transportent dans Anet tout le sacré vallon : |
12 |
|
Je le crois. Puissions-nous chanter sous les ombrages |
12 |
|
Des arbres dont ce lieu va border ses rivages ! |
12 |
|
Puissent-ils tout d’un coup élever leurs sourcils, |
12 |
|
Comme on vit autrefois Philémon et Baucis ! |
12 |