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LFT_2/LFT308
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
LIVRE QUATRIÈME
XV
LA CHOSE IMPOSSIBLE
Un démon, plus noir que malin, 8
Fit un charme si souverain 8
Pour l’amant de certaine belle, 8
Qu’à la fin celui-ci posséda sa cruelle. 12
5 Le pact de notre amant et de l’esprit follet, 12
Ce fut que le premier jouirait à souhait 12
De sa charmante inexorable. 8
« Je te la rends dans peu, dit Satan, favorable : 12
Mais par tel si, qu’au lieu qu’on obéit au diable 12
10 Quand il a fait ce plaisir-là, 8
À tes commandements le diable obéira 12
Sur l’heure même ; et puis, sur la même heure, 10
Ton serviteur lutin, sans plus longue demeure, 12
Ira te demander autre commandement 12
15 Que tu lui feras promptement, 8
Toujours ainsi, sans nul retardement ; 10
Sinon, ni ton corps ni ton âme 8
N’appartiendront plus à ta dame ; 8
Ils seront à Satan, et Satan en fera 12
20 Tout ce que bon lui semblera. » 8
Le galant s’accorde à cela. 8
Commander, étoit-ce un mystère ? 8
Obéir est bien autre affaire. 8
Sur ce penser-là, notre amant 8
25 S’en va trouver sa belle, en a contentement, 12
Goûte des voluptés qui n’ont point de pareilles, 12
Se trouve très-heureux, hormis qu’incessamment 12
Le diable étoit à ses oreilles. 8
Alors l’amant lui commandoit 8
30 Tout ce qui lui venoit en tête ; 8
De bâtir des palais, d’exciter la tempête : 12
En moins d’un tour de main, cela s’accomplissoit. 12
Mainte pistole se glissoit 8
Dans l’escarcelle de notre homme. 8
35 Il envoyoit le diable à Rome : 8
Le diable revenoit tout chargé de pardons. 12
Aucuns voyages n’étoient longs, 8
Aucune chose malaisée. 8
L’amant, à force de rêver 8
40 Sur les ordres nouveaux qu’il lui falloit trouver, 12
Vit bientôt.sa cervelle usée. 8
Il s’en plaignit à sa divinité, 10
Lui dit de bout en bout toute la vérité. 12
« Quoi ! ce n’est que cela ? lui repartit la dame : 12
45 Je vous aurai bientôt tiré 8
Une telle épine de l’âme. 8
Quand le diable viendra, vous lui présenterez 12
Ce que je tiens, et lui direz : 8
Défrise-moi ceci ; fais tant, par tes journées, 12
50 Qu’il devienne tout plat. » Lors, elle lui donna 12
Je ne sais quoi, qu’elle tira 8
Du verger de Cypris, labyrinthe des fées, 12
Ce qu’un duc autrefois jugea si précieux, 12
Qu’il voulut l’honorer d’une chevalerie ; 12
55 Illustre et noble confrérie, 8
Moins pleine d’hommes que de dieux. 8
L’amant dit au démon : « C’est ligne circulaire 12
Et courbe, que ceci ; je t’ordonne d’en faire 12
Ligne droite et sans nuls retours. 8
60 Va-t’en y travailler, et cours ! » 8
L’Esprit s’en va, n’a point de cesse 8
Qu’il n’ait mis le fil sous la presse ; 8
Tâche de l’aplatir à grands coups de marteau ; 12
Fait séjourner au fond de l’eau, 8
65 Sans que la ligne fût d’un seul point étendue ; 12
De quelque tour qu’il se servît, 8
Quelque secret qu’il eût, quelque charme qu’il fit, 12
C’étoit temps et peine perdue : 8
Il ne put mettre à la raison 8
70 La toison. 3
Elle se révoltait contre le vent, la pluie, 12
La neige, le brouillard : plus Satan y touchoit, 12
Moins l’annelure se lâchoit. 8
« Qu’est ceci ? disoit-il ; je ne vis, de ma vie, 12
75 Chose de telle étoffe il n’est point de lutin 12
Qui n’y perdît tout son latin, » 8
Messire diable, un beau matin, 8
S’en va trouver son homme, et lui dit : « Je te laisse. 12
Apprends-moi seulement ce que c’est que cela : 12
80 Je te le rends ; tiens, le voilà ! 8
Je suis VICTUS, je le confesse. 8
— Notre ami monsieur le luiton, 8
Dit l’homme, vous perdez un peu trop tôt courage ; 12
Celui-ci n’est pas seul, et plus d’un compagnon 12
85 Vous auroit taillé de l’ouvrage, » 8
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