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LFT_2/LFT296
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
LIVRE QUATRIÈME
III
DINDENAUT ET PANURGE
Je le répète, et dis, vaille que vaille, 10
Le monde n’est que franche moutonnaille. 10
Du premier coup, ne croyez que l’on aille 10
À ses périls le passage sonder ; 10
5 On est longtemps à s’entre-regarder ; 10
Les plus hardis ont-ils tenté l’affaire, 10
Le reste suit, et fait ce qu’il.doit faire. 10
Qu’un seul mouton se jette à la rivière, 10
Vous ne verrez nulle âme moutonnière 10
10 Rester au bord ; tous se noieront à tas. 10
Maître François en conte un plaisant cas ; 10
Ami lecteur, ne te déplaira pas, 10
Si, sursoyant ma principale histoire, 10
Je te remets cette chose en mémoire. 10
15 Panurge alloit l’oracle consulter : 10
Il navigeoit, ayant dans la cervelle 10
Je ne sais quoi qui vînt l’inquiéter. 10
Dindenaut passe, et médaille l’appelle 10
De vrai cocu. Dindenaut, dans sa nef, 10
20 Menoit moutons. « Vendez-m’en un ? dit l’autre. 10
— Voire, reprit Dindenaut, l’ami nôtre, 10
Penseriez-vous qu’on pût venir à chef 10
D’assez priser ni vendre telle aumaille ? » 10
Panurge dit : « Notre ami, coûte et vaille, 10
25 Vendez-m’en un pour or ou pour argent ? » 10
Un fut vendu : Panurge incontinent 10
Le jette en mer, et les autres de suivre. 10
Au diable l’un, à ce que dit le livre, 10
Qui demeura. Dindenaut au collet 10
30 Prend un bélier, et le bélier l’entraîne. 10
Adieu, mon homme : il va boire au godet. 10
Or revenons : ce prologue me mène 10
Un peu bien loin. J’ai posé dès d’abord 10
Que tout exemple est de force très-grande, 10
35 Et ne me suis écarté par trop fort, 10
En rapportant la moutonnière bande ; 10
Car notre histoire est d’ouailles encor. 10
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