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LFT_2/LFT293
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
LIVRE TROISIÈME – 1671
Appendice
LA COUPE ENCHANTÉE :
DIALOGUE ENTRE ÉRASTE ET CALISTE
Le feint Éraste, en même temps, 8
Lui présente un miroir de poche. 8
Caliste s’y regarde, et le galant s’approche : 12
Il contemple, il admire, il lève au ciel les yeux ; 12
5 Il fait tant, qu’il attrape un souris gracieux. 12
« Mauvais commencement ! se dit-il en soi-même. 12
Eh bien ! poursuivit-il, quand d’un amour extrême 12
On vous aime, 3
A-t-on raison ? Je m’en rapporte à vous ; 10
10 Peut-on résister ;à ces charmes ? 8
CALISTE
On fait bien ; car comment ne pas devenir fous, 12
Quand vos coeurs ont affaire à de si fortes armes ? 12
Sans mentir, messieurs les amants, 8
Vous me semblez divertissants : 8
15 J’aurois regret qu’on vous fît taire. 8
Mais savez-vous que. votre encens 8
Peut, à la longue, nous déplaire ? 8
Le feint ÉRASTE
Et pouvons-nous autrement faire ? 8
Tenez, voyez encor ces traits ? 8
CALISTE
20 Je les vois, je les considère. 8
Je sais quels ils sont... Mais après ? 8
Le feint ÉRASTE
Après ? L’après est bon ! Faut-il toujours vous dire, 12
Qu’on brûle, qu’on languit, qu’on meurt sous votre empire ? 12
CALISTE
Mon Dieu ! non ! je le sais… Mais après !
Le feint ÉRASTE
Il suffit,
25 Et quand on est mort, c’est tout dit. 8
CALISTE
Vous n’êtes pas si mort que vos yeux ne remuent. 12
Contenez-les, de grâce ; ou bien, s’ils continuent, 12
Je mettrai mon touret de nez. 8
Le feint ÉRASTE
Votre touret de nez ? Gardez-vous de le faire. 12
CALISTE
30 Cessez donc, et vous contenez. 8
Le feint ÉRASTE
Quoi ! défendre les yeux ! C’est être trop sévère 12
Passe encor pour les mains.
CALISTE
Ah ! pour les mains, je croi
Que vous riez ?
Le feint ÉRASTE
Point trop.
CALISTE
C’est donc à moi
De me garder.
Le feint ÉRASTE
Ma passion commence
35 À se lasser de la longueur du temps. 10
Si mon calcul est bon, voici tantôt deux ans 12
Que je vous sers sans récompense. 8
CALISTE
Quelle vous la faut-il !
Le feint ÉRASTE
Tout, sans rien excepter.
CALISTE
Un remercîment donc ne peut vous contenter ? 12
Le feint ÉRASTE
40 Des remercîments ? Bagatelles ! 8
CALISTE
De l’amitié ?
Le feint ÉRASTE
Point de nouvelles.
CALISTE
De l’amour ?
Le feint ÉRASTE
Bon, cela. Mais je veux du plus fin,
Qui me laisse, avancer chemin, 8
En moins de deux ou trois visites, 8
45 Moyennant quoi nous serons quittes. 8
Et si vous voulez mettre à prix cet amour-là, 12
Je vous en donnerai tout ce qui vous plaira : 12
Cette boîte de filigrane…. 8
CALISTE
Le libéral amant qu’est Éraste ! Voyez ! 12
Le feint ÉRASTE
50 Madame, avant qu’on la condamne, 8
Il faut l’ouvrir. Peut-être vous croyez 10
Qu’elle est vide ?
CALISTE
Non pas. Ce sont des pierreries ?
Le feint ÉRASTE
Ouvrez ; vous le verrez.
CALISTE
Trêve de railleries.
Le feint ÉRASTE
Moi ! me railler ! Ouvrez !
CALISTE
Et quand je l’aurois fait ?
55 Je ne sais qui me tient qu’avec un bon soufflet… 12
Mais non Si jamais plus cette insolence extrême…, 12
Le feint ÉRASTE
Je vois bien ce que c’est ; il faut l’ouvrir moi-même. 12
Disant ces mots, il l’ouvre, et, sans autre façon, 12
Il tire de la boite, et d’entre du coton, 12
60 De ces appeaux à prendre belles, 8
Assez pour fléchir six cruelles, 8
Assez pour créer six cocus : 8
Un collier de vingt mille écus. 8
Caliste n’étoit pas tellement en colère, 12
65 Qu’elle ne regardât ce don du. coin de l’oeil. 12
Sa vertu, sa foi, son orgueil, 8
Eurent peine à tenir contre un tel adversaire ; 12
Mais il ne falloit pas sitôt changer de ton, 12
Éraste, à qui Nérie avoit fait la leçon 12
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