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LFT_2/LFT291
Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
LIVRE TROISIÈME – 1671
XII
L’AMOUR MOUILLÉ
IMITATION D’ANACRÉON
J’étois couché mollement, 7
Et, contre mon ordinaire, 7
Je dormois tranquillement, 7
Quand un enfant s’en vint faire 7
5 À ma porte quelque bruit. 7
Il pleuvoit fort cette nuit : 7
Le vent, le froid et l’orage 7
Contre l’enfant faisoient rage. 7
« Ouvrez, dit-il, je suis nu. » 7
10 Moi, charitable et bonhomme, 7
J’ouvre au pauvre morfondu, 7
Et m’enquiers comme il se nomme. 7
« Je te le dirai tantôt, 7
Repartit-il, car il faut 7
15 Qu’auparavant je m’essuie. » 7
J’allume aussitôt du feu. 7
Il regarde si la pluie 7
N’a point gâté quelque peu 7
Un arc dont je me méfie. 7
20 Je m’approche toutefois, 7
Et de l’enfant prends les doigts, 7
Les réchauffe ; et dans moi-même 7
Je dis : « Pourquoi craindre tant ? 7
Que peut-il ? C’est un enfant : 7
25 Ma couardise est extrême 7
D’avoir eu le moindre effroi ; 7
Que seroit-ce si chez moi 7
J’avois reçu Polyphème ? » 7
L’enfant, d’un air enjoué, 7
30 Ayant un peu secoué 7
Les pièces de son armure 7
Et sa blonde chevelure, 7
Prend un trait, un trait vainqueur, 7
Qu’il me lance au fond du cœur. 7
35 « Voilà, dit-il, pour ta peine. 7
Souviens-toi bien de Climène, 7
Et de l’Amour, c’est mon nom. 7
— Ah ! je vous connois, lui dis-je, 7
Ingrat et cruel garçon ! 7
40 Faut-il que qui vous oblige 7
Soit traité de la façon ! » 7
Amour fit une gambade ; 7
Et le petit scélérat 7
Me dit : « Pauvre camarade, 7
45 Mon arc est en bon état, 7
Mais ton cœur est bien malade. » 7
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