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Jean de LA FONTAINE
CONTES ET NOUVELLES
1668-1694
LIVRE DEUXIÈME 1667 — 1669
X
ON NE S’AVISE JAMAIS DE TOUT
CONTE TIRÉ DES CENT NOUVELLES NOUVELLES
Certain jaloux, ne dormant que d’un œil, 10
Interdisoit tout commerce à sa femme. 10
Dans le dessein de prévenir la dame, 10
Il avoit fait un fort ample recueil 10
5 De tous les tours que le sexe sait faire. 10
Pauvre ignorant ! Comme si cette affaire 10
N’étoit une hydre, à parler franchement ! 10
Il captivoit sa femme cependant, 10
De ses cheveux vouloit savoir le nombre, 10
10 La faisoit suivre, à toute heure, en tous lieux, 10
Par une vieille au corps tout rempli d’yeux, 10
Qui la quittoit aussi peu que son ombre. 10
Ce fou tenoit son recueil fort entier : 10
Il le portoit en guise de psautier, 10
15 Croyant par là cocuage hors de gamme. 10
Un jour de fête, arrive que la dame, 10
En revenant de l’église, passa 10
Près d’un logis d’où quelqu’un lui jeta 10
Fort à propos plein un panier d’ordure. 10
20 On s’excusa. La pauvre créature, 10
Toute vilaine, entra dans le logis. 10
Il lui fallut dépouiller ses habits. 10
Elle envoya querir une autre jupe, 10
Dès en entrant, par cette douagna, 10
25 Qui hors d’haleine à monsieur raconta 10
Tout l’accident. « Foin ! dit-il, celui-là 10
N’est dans mon livre, et je suis pris pour dupe : 10
Que le recueil au diable soit donné ! » 10
Il disoit bien ; car on n’avoit jeté 10
30 Cette immondice, et la dame gâté, 10
Qu’afin qu’elle eût quelque valable excuse 10
Pour éloigner son dragon quelque temps. 10
Un sien galant, ami de là-dedans, 10
Tout aussitôt profita de la ruse. 10
35 Nous avons beau sur ce sexe avoir l’oeil : 10
Ce n’est coup sûr encontre tous esclandres. 10
Maris jaloux, brûlez votre recueil, 10
Sur ma parole, et faites-en des cendres. 10
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