Métrique en Ligne
LFT_1/LFT82
Jean de LA FONTAINE
FABLES
1678-1694
FABLES CHOISIES MISES EN VERS
Éditions Thierry et Barbin (1678-1679) et Barbin (1694)
LIVRE IV
XXI
L'ŒIL DU MAÎTRE
Un cerf, s'étant sauvé dans une étable à bœufs, 12
Fut d'abord averti par eux 8
Qu'il cherchât un meilleur asile. 8
Mes frères, leur dit-il, ne me décelez pas ; 12
5 Je vous enseignerai les pâtis les plus gras ; 12
Ce service vous peut quelque jour être utile, 12
Et vous n'en aurez point regret. 8
Les bœufs, à toutes fins, promirent le secret. 12
Il se cache en un coin, respire et prend courage. 12
10 Sur le soir on apporte herbe fraîche et fourrage, 12
Comme l'on faisoit tous les jours : 8
L'on va, l'on vient, les valets font cent tours, 10
L'intendant même ; et pas un d'aventure 10
N'aperçut ni cor, ni ramure, 8
15 Ni cerf enfin. L'habitant des forêts 10
Rend déjà grâce aux bœufs, attend dans cette étable 12
Que, chacun retournant au travail de Cérès, 12
Il trouve pour sortir un moment favorable. 12
L'un des bœufs ruminant lui dit : Cela va bien ; 12
20 Mais quoi ! l'homme aux cent yeux n'a pas fait sa revue : 12
Je crains fort pour toi sa venue ; 8
Jusque-là, pauvre cerf, ne te vante de rien. 12
Là-dessus le maître entre, et vient faire sa ronde. 12
Qu'est ceci ? dit-il à son monde ; 8
25 Je trouve bien peu d'herbe en tous ces râteliers. 12
Cette litière est vieille, allez vite aux greniers. 12
Je veux voir désormais vos bêtes mieux soignées. 12
Que coûte-t-il d'ôter toutes ces araignées ? 12
Ne sauroit-on ranger ces jougs et ces colliers ? 12
30 En regardant à tout, il voit une autre tête 12
Que celles qu'il voyoit d'ordinaire en ce lieu. 12
Le cerf est reconnu : chacun prend un épieu ; 12
Chacun donne un coup à la bête. 8
Ses larmes ne sauroient la sauver du trépas. 12
35 On l'emporte, on la sale, on en fait maint repas. 12
Dont maint voisin s'éjouit d'être. 8
Phèdre sur ce sujet dit fort élégamment : 12
Il n'est, pour voir, que l'œil du maître. 8
Quant à moi, j'y mettrois encor l'œil de l'amant. 12
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