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Jean de LA FONTAINE
FABLES
1678-1694
FABLES CHOISIES MISES EN VERS
Éditions Thierry et Barbin (1678-1679) et Barbin (1694)
LIVRE IV
XII
TRIBUT ENVOYÉ PAR LES ANIMAUX A ALEXANDRE
Une fable avoit cours parmi l'antiquité ; 12
Et la raison ne m'en est pas connue. 10
Que le lecteur en tire une moralité : 12
Voici la fable toute nue. 8
5 La Renommée ayant dit en cent lieux 10
Qu'un fils de Jupiter, un certain Alexandre, 12
Ne voulant rien laisser de libre sous les cieux, 12
Commandoit que, sans plus attendre, 8
Tout peuple à ses pieds s'allât rendre, 8
10 Quadrupèdes, humains, éléphants, vermisseaux, 12
Les républiques des oiseaux ; 8
La déesse aux cent bouches, dis-je, 8
Ayant mis partout la terreur 8
En publiant l'édit du nouvel empereur, 12
15 Les animaux, et toute espèce lige 10
De son seul appétit, crurent que cette fois 12
Il falloit subir d'autres lois. 8
On s'assemble au désert. Tous quittent leur tanière. 12
Après divers avis, on résout, on conclut 12
20 D'envoyer hommage et tribut. 8
Pour l'hommage et pour la manière, 8
Le singe en fut chargé : l'on lui mit par écrit 12
Ce que l'on vouloit qui fût dit. 8
Le seul tribut les tint en peine : 8
25 Car que donner ? il falloit de l'argent. 10
On en prit d'un prince obligeant, 8
Qui, possédant dans son domaine 8
Des mines d'or, fournit ce qu'on voulut. 10
Comme il fut question de porter ce tribut, 12
30 Le mulet et l'âne s'offrirent, 8
Assistés du cheval ainsi que du chameau. 12
Tous quatre en chemin ils se mirent 8
Avec le singe, ambassadeur nouveau. 10
La caravane enfin rencontre en un passage 12
35 Monseigneur le lion : cela ne leur plut point. 12
Nous nous rencontrons tout à point, 8
Dit-il ; et nous voici compagnons de voyage. 12
J'allois offrir mon fait à part ; 8
Mais, bien qu'il soit léger, tout fardeau m'embarrasse. 12
40 Obligez-moi de me faire la grâce 10
Que d'en porter chacun un quart : 8
Ce ne vous sera pas une charge trop grande, 12
Et j'en serai plus libre et bien plus en état 12
En cas que les voleurs attaquent notre bande, 12
45 Et que l'on en vienne au combat. 8
Éconduire un lion rarement se pratique. 12
Le voilà donc admis, soulagé, bien reçu, 12
Et, malgré le héros de Jupiter issu, 12
Faisant chère et vivant sur la bourse publique. 12
50 Ils arrivèrent dans un pré 8
Tout bordé de ruisseaux, de fleurs tout diapré, 12
Où maint mouton cherchoit sa vie ; 8
Séjour du frais, véritable patrie 10
Des zéphyrs. Le lion n'y fut pas, qu'à ces gens 12
55 Il se plaignit d'être malade. 8
Continuez votre ambassade, 8
Dit-il ; je sens un feu qui me brûle au dedans, 12
Et veux chercher ici quelque herbe salutaire. 12
Pour vous, ne perdez point de temps. 8
60 Rendez-moi mon argent ; j'en puis avoir affaire. 12
On déballe ; et d'abord le lion s'écria, 12
D'un ton qui témoignoit sa joie : 8
Que de filles, ô dieux, mes pièces de monnoie 12
Ont produites ! Voyez : la plupart sont déjà 12
65 Aussi grandes que leurs mères. 7
Le croît m'en appartient. Il prit tout là-dessus : 12
Ou bien, s'il ne prit tout, il n'en demeura guères. 12
Le singe et les sommiers confus, 8
Sans oser répliquer, en chemin se remirent. 12
70 Au fils de Jupiter on dit qu'ils se plaignirent, 12
Et n'en eurent point de raison. 8
Qu'eût-il fait ? C'eût été lion contre lion ; 12
Et le proverbe dit : Corsaires à corsaires, 12
L'un l'autre s'attaquant, ne font pas leurs affaires. 12
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