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LFT_1/LFT212
Jean de LA FONTAINE
FABLES
1678-1694
FABLES CHOISIES MISES EN VERS
Éditions Thierry et Barbin (1678-1679) et Barbin (1694)
LIVRE XI
V
LE LION, LE SINGE ET LES DEUX ÂNES
Le lion, pour bien gouverner, 8
Voulant apprendre la morale, 8
Se fit, un beau jour, amener 8
Le singe, maître ès-arts chez la gent animale. 12
5 La première leçon que donna le régent 12
Fut celle-ci : Grand roi, pour régner sagement, 12
Il faut que tout prince préfère 8
Le zèle de l'État à certain mouvement 12
Qu'on appelle communément 8
10 Amour-propre ; car c'est le père, 8
C'est l'auteur de tous les défauts 8
Que l'on remarque aux animaux. 8
Vouloir que de tout point ce sentiment vous quitte, 12
Ce n'est pas chose si petite 8
15 Qu'on en vienne à bout en un jour : 8
C'est beaucoup de pouvoir modérer cet amour. 12
Par là votre personne auguste 8
N'admettra jamais rien en soi 8
De ridicule ni d'injuste. ‒ 8
20 Donne-moi, repartit le roi, 8
Des exemples de l'un et l'autre. ‒ 8
Toute espèce, dit le docteur, 8
Et je commence par la nôtre, 8
Toute profession s'estime dans son cœur, 12
25 Traite les autres d'ignorantes, 8
Les qualifie impertinentes ; 8
Et semblables discours qui ne nous coûtent rien. 12
L'amour-propre, au rebours, fait qu'au degré suprême 12
On porte ses pareils ; car c'est un bon moyen 12
30 De s'élever aussi soi-même. 8
De tout ce que dessus j'argumente très-bien 12
Qu'ici-bas maint talent n'est que pure grimace, 12
Cabale, et certain art de se faire valoir, 12
Mieux su des ignorants que des gens de savoir. 12
35 L'autre jour, suivant à la trace 8
Deux ânes qui, prenant tour à tour l'encensoir, 12
Se louoient tour à tour, comme c'est la manière, 12
J'ouïs que l'un des deux disoit à son confrère : 12
Seigneur, trouvez-vous pas bien injuste et bien sot 12
40 L'homme, cet animal si parfait ? Il profane 12
Notre auguste nom, traitant d'âne 8
Quiconque est ignorant, d'esprit lourd, idiot : 12
Il abuse encore d'un mot, 8
Et traite notre rire et nos discours de braire. 12
45 Les humains sont plaisants de prétendre exceller 12
Par-dessus nous. Non, non ; c'est à vous de parler, 12
À leurs orateurs de se taire : 8
Voilà les vrais braillards. Mais laissons là ces gens : 12
Vous m'entendez, je vous entends ; 8
50 Il suffit. Et quant aux merveilles 8
Dont votre divin chant vient frapper les oreilles, 12
Philomèle est, au prix, novice dans cet art ; 12
Vous surpassez Lambert. L'autre baudet repart : 12
Seigneur, j'admire en vous des qualités pareilles. 12
55 Ces ânes, non contents de s'être ainsi grattés, 12
S'en allèrent dans les cités 8
L'un l'autre se prôner : chacun d'eux croyoit faire, 12
En prisant ses pareils, une fort bonne affaire, 12
Prétendant que l'honneur en reviendroit sur lui. 12
60 J'en connois beaucoup aujourd'hui, 8
Non parmi les baudets, mais parmi les puissances, 12
Que le Ciel voulut mettre en de plus hauts degrés, 12
Qui changeroient entre eux les simples excellences, 12
S'ils osoient, en des majestés. 8
65 J'en dis peut-être plus qu'il ne faut, et suppose 12
Que votre majesté gardera le secret. 12
Elle avoit souhaité d'apprendre quelque trait 12
Qui lui fît voir, entre autre chose, 8
L'amour-propre donnant du ridicule aux gens. 12
70 L'injuste aura son tour : il y faut plus de temps. 12
Ainsi parla ce singe. On ne m'a pas su dire 12
S'il traita l'autre point, car il est délicat ; 12
Et notre maître ès-arts, qui n'étoit pas un fat, 12
Regardoit ce lion comme un terrible sire. 12
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