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LFT_1/LFT210
Jean de LA FONTAINE
FABLES
1678-1694
FABLES CHOISIES MISES EN VERS
Éditions Thierry et Barbin (1678-1679) et Barbin (1694)
LIVRE XI
III
LE FERMIER, LE CHIEN ET LE RENARD
Le loup et le renard sont d'étranges voisins : 12
Je ne bâtirai point autour de leur demeure. 12
Ce dernier guettoit à toute heure 8
Les poules d'un fermier ; et, quoique des plus fins, 12
5 Il n'avoit pu donner d'atteinte à la volaille. 12
D'une part l'appétit, de l'autre le danger, 12
N'étoient pas au compère un embarras léger. 12
Hé quoi ! dit-il, cette canaille 8
Se moque impunément de moi ! 8
10 Je vais, je viens, je me travaille, 8
J'imagine cent tours ; le rustre, en paix chez soi, 12
Vous fait argent de tout, convertit en monnoie 12
Ses chapons, sa poulaille ; il en a même au croc ; 12
Et moi, maître passé, quand j'attrape un vieux coq, 12
15 Je suis au comble de la joie ! 8
Pourquoi sire Jupin m'a-t-il donc appelé 12
Au métier de renard ? Je jure les puissances 12
De l'Olympe et du Styx, il en sera parlé. 12
Roulant en son cœur ces vengeances, 8
20 Il choisit une nuit libérale en pavots : 12
Chacun étoit plongé dans un profond repos ; 12
Le maître du logis, les valets, le chien même, 12
Poules, poulets, chapons, tout dormoit. Le fermier, 12
Laissant ouvert son poulailler, 8
25 Commit une sottise extrême. 8
Le voleur tourne tant, qu'il entre au lieu guetté, 12
Le dépeuple, remplit de meurtres la cité. 12
Les marques de sa cruauté 8
Parurent avec l'aube : on vit un étalage 12
30 De corps sanglants et de carnage. 8
Peu s'en fallut que le soleil 8
Ne rebroussât d'horreur vers le manoir liquide. 12
Tel, et d'un spectacle pareil, 8
Apollon, irrité contre le fier Atride, 12
35 Joncha son camp de morts ; on vit presque détruit 12
L'ost des Grecs ; et ce fut l'ouvrage d'une nuit. 12
Tel encore autour de sa tente 8
Ajax, à l'âme impatiente, 8
De moutons et de boucs fit un vaste débris, 12
40 Croyant tuer en eux son concurrent Ulysse, 12
Et les auteurs de l'injustice 8
Par qui l'autre emporta le prix. 8
Le renard, autre Ajax aux volailles funeste, 12
Emporte ce qu'il peut, laisse étendu le reste. 12
45 Le maître ne trouva de recours qu'à crier 12
Contre ses gens, son chien : c'est l'ordinaire usage. 12
Ah ! maudit animal, qui n'es bon qu'à noyer, 12
Que n'avertissois-tu dès l'abord du carnage ? ‒ 12
Que ne l'évitiez-vous ? c'eût été plus tôt fait : 12
50 Si vous, maître et fermier, à qui touche le fait, 12
Dormez sans avoir soin que la porte soit close, 12
Voulez-vous que moi, chien, qui n'ai rien à la chose, 12
Sans aucun intérêt je perde le repos ? 12
Ce chien parloit très à propos 8
55 Son raisonnement pouvoit être 8
Fort bon dans la bouche d'un maître ; 8
Mais, n'étant que d'un simple chien, 8
On trouva qu'il ne valoit rien : 8
On vous sangla le pauvre drille. 8
60 Toi donc, qui que tu sois, ô père de famille 12
(Et je ne t'ai jamais envié cet honneur), 12
T'attendre aux yeux d'autrui quand tu dors, c'est erreur. 12
Couche-toi le dernier, et vois fermer ta porte. 12
Que si quelque affaire t'importe, 8
65 Ne la fais point par procureur. 8
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